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vent pas en profiter ; il faudrait encore les indemniser du préjudice que leur cause l’absence de leurs enfans. Les caisses d’école ont été organisées dans cette vue et dans celle de donner aux enfans pauvres des habits et des souliers pour qu’ils puissent sans honte se mêler à la foule des écoliers ; enfin elles complètent l’œuvre de la gratuité en donnant à ces mêmes enfans les livres et les fournitures classiques. Les caisses d’école sont aujourd’hui au nombre de 364. Cette institution excellente, qui complète les bienfaits de la loi par la bienfaisance privée, existe dès à présent, et il suffirait de la développer pour que son intervention vînt toujours adoucir ce que la loi aurait quelquefois de trop rude.

L’ensemble de cet exposé a fait justice, nous l’espérons, des imputations inexactes et des attaques de parti-pris dirigées contre l’obligation de l’instruction primaire. Quant à la prétendue tyrannie qu’on affecte de reprocher au régime de l’instruction obligatoire, il nous a suffi, pour repousser cette imputation, de montrer l’entière liberté laissée au père de famille pour l’éducation de son enfant. La tyrannie, elle est dans le déplorable emploi que font certaines gens de l’autorité paternelle pour condamner à l’ignorance de jeunes esprits qui ont droit à l’instruction ; elle ne saurait être dans une obligation légale qui ne fait que sanctionner l’obligation morale. Liberté et obligation sont deux mots que toute philosophie a toujours fait marcher ensemble. Un être libre peut seul être moralement obligé. La loi qui sanctionne une obligation morale est une loi de liberté. Il y a bien des répugnances à vaincre, bien des résistances à surmonter ; mais l’idée de l’obligation a fait déjà bien du chemin, elle en fera encore. Placée sous la protection de ses glorieux parrains depuis les états généraux de 1560 jusqu’à la convention, soutenue, il y a une trentaine d’années, devant la chambre des pairs par M. Cousin, proposée aujourd’hui par lord Forster à la chambre des communes, elle recueille des adhésions dans tous les coins de la France. On peut prédire que le jour n’est pas loin où elle étendra sur notre pays les bienfaits qu’elle dispense maintenant aux États-Unis, à l’Allemagne, à la Suisse et à la Suède. Alors sera réalisé le vœu de ces pauvres paysans qui couvrent les listes de la ligue de l’enseignement de petites croix, signatures éloquentes, et qui demandent qu’une génération plus heureuse ne soit point privée de l’instruction qu’ils n’ont pas, et dont ils apprécient toute l’importance.


Henri Saint-René Taillandier