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devait pas supposer tant d’audace. « J’ai peine à croire, disait-il gravement, que ce roi veuille s’engager dans une guerre dont les premiers momens peuvent à la vérité lui être favorables par la surprise où il trouverait la puissance qu’il veut attaquer, mais dont les suites pourraient lui être funestes, lorsque cette même puissance, soutenue des secours de sa majesté, rassemblera toutes ses forces pour résister à ses ennemis… Quant à la Saxe, continuait-il, M. de Vitzthum (l’ambassadeur de Saxe à Paris) ne m’a parlé de rien… Il faut attendre que cette cour nous parle, nous fasse connaître sa situation, ses forces,… et que la cour de Vienne nous propose elle-même des arrangemens à prendre en commun[1]. »

Même réponse expectante, mêmes espérances aussi bien fondées au sujet des armemens de la Russie. Ceux-là aussi paraissaient au ministre purement défensifs et ne pouvant donner aux Polonais aucun sujet d’inquiétude. « La mission du chevalier Douglas était nécessaire, disait-il, pour prévenir à Pétersbourg l’effet des intrigues de l’Angleterre ; mais ce ministre aurait ordre d’employer toujours ses bons offices en faveur des Polonais. A la vérité, dans le cas que prévoyait le comte de Broglie (celui d’une agression prussienne suivie par représailles d’une invasion russe), la situation de l’ambassadeur de France en Pologne deviendrait très embarrassante, et il faudrait pour s’en tirer beaucoup d’art et de dextérité ; mais l’hypothèse n’avait rien de vraisemblable, et, le cas échéant, on pourrait toujours compter sur un agent aussi habile que le comte lui-même pour sortir heureusement de ce mauvais pas[2]. »

Le comte aurait donné tous les complimens du monde pour une instruction plus claire et plus à son goût. Ne l’obtenant pas de la correspondance officielle, pouvait-il au moins l’espérer de la correspondance secrète ? Il en fit l’essai ; mais, chose étrange, depuis la conclusion de la nouvelle alliance, le prince de Conti semblait avoir pris le parti de ne plus écrire. Il n’avait accompagné l’annonce du traité faite par le ministre d’aucune espèce de commentaire. Le 11 juin, c’est-à-dire trois semaines après le premier avis de M. de Rouillé, le comte de Broglie écrivait à M. Durand : « M. d’Arbo (c’était le nom de guerre qu’ils étaient convenus de donner entre eux au prince) ne m’a pas donné signe de vie depuis ce qui se passe… Cela méritait pourtant un petit article, ainsi que les liaisons que nous ne tarderons pas à prendre avec la Russie. Cela est de quelque importance pour la réussite de son projet[3]. »

  1. M. de Rouillé au comte de Broglie, 16 juillet 1756. (Dépêche officielle, ministère des affaires étrangères.)
  2. Rouillé à Broglie, Ibid., 19 juillet et 7 août 1756.
  3. Le comte de Broglie à M. Durand, 11 juin 1756. (Correspondance secrète, ministère des affaires étrangères.)