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tenant-right est un obstacle au morcellement et une garantie que le fermage sera exactement payé, attendu que le propriétaire peut prélever les arriérés sur la valeur du good-will. Tandis que la propriété pleine est inaccessible aux cultivateurs par les complications absurdes des lois anglaises, cette demi-propriété se transmet avec autant de facilité et de sécurité qu’un titre mobilier. En France, où l’acquisition de la propriété foncière est chose claire, simple, facile à tous, le tenant-right serait considéré comme un mode de tenure très imparfait. Au sein de la détestable constitution agraire qui existe dans le royaume-uni, il offre d’incontestables avantages, car il donne au cultivateur un droit réel sur la terre qu’il fait valoir. Qu’un pareil droit ait pu subsister sans être reconnu par les cours de justice, c’est une preuve nouvelle de la libéralité des landlords irlandais ; mais que, pour établir quelque justice en faveur des locataires, il faille, comme va le faire le parlement, sanctionner un droit aussi mal défini, aussi sujet à des contestations de toute espèce, c’est une preuve évidente de la barbarie des lois qui régissent la propriété foncière en Angleterre.

Examinons maintenant les moyens proposés pour améliorer la situation et surtout ceux que renferme le land-bill voté récemment par la chambre des communes. O’Connell en 1843 demandait que les baux ne pussent jamais être de moins de vingt et un ans, et que le tenancier eût droit à recevoir la valeur des améliorations exécutées par lui ; mais aujourd’hui les locataires irlandais ne se contentent pas de si peu : leur mot d’ordre est fixity of tenure at fair rents, ce qui signifie le droit d’occuper la terre en payant un fermage. Cette mesure équivaudrait à l’expropriation en masse des propriétaires irlandais, qui seraient transformés du coup en créanciers hypothécaires, dont le revenu serait déterminé par des experts publics. Il faut que le privilège ait rendu le droit des propriétaires bien impopulaire pour qu’un projet qui sur le continent serait considéré comme le rêve coupable de « partageux » en délire soit partout exposé dans les meetings et adopté par les esprits les plus distingués. M. Butt, ancien professeur d’économie politique à l’université de Dublin, dans un écrit très remarqué qui a pour titre Land tenure in Ireland, a réclamé qu’on affranchisse enfin les serfs irlandais en leur accordant un bail de soixante ans moyennant une rente à fixer par le tribunal. Sir John Gray demande le tenant-right pour tous les locataires, de façon qu’ils puissent garder leurs fermes tant qu’ils en paieront le fermage. M. Stuart Mill, dans un écrit récent, Ireland and England, se montre convaincu que le seul moyen de pacifier l’Irlande est de transformer d’un coup tous les locataires irlandais en propriétaires, sous la condition de payer aux propriétaires une rente convenable. Ces derniers auraient le droit de