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meilleur politique dans toute cette histoire hollandaise, ce n’est pas l’empereur, c’est le roi. Sous le règne de Louis, la Hollande reste sans hésitation fidèle à l’alliance française, rend à l’empire d’éminens services en Westphalie, à Friedland, à Stralsund, en Espagne, à Anvers. Annexée violemment à la France, gouvernée avec vigueur, elle ronge d’abord son frein en silence, puis à la première occasion favorable le peuple hollandais se soulève comme un seul homme et ouvre à l’ennemi nos frontières du nord. Tel est le résultat de la vigueur napoléonienne. N’y a-t-il pas aussi toute une révélation dans cette crainte plusieurs fois exprimée que Louis ne se fît aimer en Hollande ? Chez celui qui l’avait fait roi, de telles inquiétudes provenaient d’une pensée secrète que nous avons devinée depuis longtemps, et qui n’allait pas tarder à se manifester au grand jour.

Pour ôter toute espèce de doute à ceux qui pourraient nous reprocher de transformer en système des boutades échappées à une plume impérieuse et rapide, nous reproduisons en grande partie une lettre fort remarquable de Napoléon au roi de Hollande, écrite deux mois environ avant Friedland ; nous la choisissons parce qu’elle contient la critique générale du système de gouvernement adopté par le frère de l’empereur.

Finkenstein, 4 avril 1807.

« Je reçois votre lettre du 24 mars. Vous dites que vous avez vingt mille hommes à la grande armée. Vous ne le croyez pas vous-même ; il n’y en a pas dix mille[1], et quels hommes ! Ce ne sont pas des maréchaux, des chevaliers et des comtes qu’il faut faire, ce sont des soldats. Si vous continuez ainsi, vous me rendrez ridicule en Hollande.

« Vous gouvernez trop cette nation en capucin. La bonté d’un roi doit toujours être majestueuse, et ne doit pas être celle d’un moine. Rien n’est plus mauvais que ce grand nombre de voyages faits à La Haye, si ce n’est cette quête faite par votre ordre dans votre royaume[2]. Un roi ordonne et ne demande rien à personne ; il est censé être la source de la toute-puissance et avoir des moyens pour ne pas recourir à la bourse des autres. Toutes ces nuances, vous ne les sentez pas.

« Il me revient des notions sur le rétablissement de la noblesse, dont il me tarde bien d’être éclairé. Auriez-vous perdu la tête à ce point, et oublieriez-vous jusque-là ce que vous me devez ? Vous parlez toujours dans vos lettres de respect et d’obéissance : ce ne sont pas des mots, mais des faits qu’il me faut. Le respect et l’obéissance consistent à ne pas marcher si vile sans mon conseil dans des matières si importantes, car l’Europe ne peut s’imaginer que vous ayez pu manquer assez aux

  1. Dans une lettre du 6 mai suivant, l’empereur parlait de 14,000 Hollandais repartis dansâtes corps opposés alors aux Russes.
  2. Il s’agit de la grande collecte publique en faveur des victimes de la catastropha de Leyde, et dont le roi avait pris l’initiative.