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Au moment où sa réputation s’établit, les convictions fortes, soit raisonnées, soit mystiques, s’étaient discréditées en s’exagérant. Elles avaient échoué dans leurs plus hautes aspirations. Le scepticisme, l’incrédulité, le dégoût, s’étaient emparés soit de ces courtisans du succès qui ne demandent à la vie sociale que le plaisir et la fortune, soit de ces honnêtes amis de la paix qui se défient de toute théorie et de tout enthousiasme. Hobbes rendait aux uns comme aux autres le service de prêter l’air d’évidence mathématique d’un système fort terre à terre aux vœux de leurs convoitises et de leurs préjugés, et de faire la philosophie de leur égoïsme.

Eraste avait en Allemagne, un siècle auparavant, subordonné le culte même au gouvernement et fait de l’autorité religieuse une des branches du pouvoir souverain. En Angleterre, Hooker ne l’avait pas absolument contredit. Effrayé des progrès de la révolution d’Angleterre, sir Robert Filmer n’avait pas attendu la mort de Charles Ier pour dénoncer, comme une anarchie la monarchie mixte et limitée, et revendiquer bientôt pour la royauté le pouvoir absolu. C’est avec une tout autre vigueur que Hobbes vint apporter le secours d’une théorie à la pratique du despotisme, qui s’en était toujours bien passé. Les gouvernemens mixtes ne trouvent pas plus de faveur auprès de lui. Si la division du pouvoir est réelle, c’est la guerre civile organisée ; mais le plus souvent elle n’est qu’apparente, et ce prétendu mélange des diverses formes de gouvernement ne confond pas les choses, il confond les idées. Les esprits ne distinguent plus où est la souveraineté ; mais elle reste indivisible selon la loi de sa nature. C’est là ce qui valut à Hobbes, d’un de ses admirateurs, le titre d’Archimède politique. Un maître ès-arts d’Oxford, Radulphe Bathurst, le lui donne avec celui de nouveau Prométhée pour avoir accompli la première des œuvres après l’œuvre divine, car, dit-il, en vers iambiques, juste après la création de l’homme, en vient la description : « viens, lecteur, apprends enfin à te connaître. » Aubrey, de la Société royale de Londres, compose un quatrain latin pour féliciter Hobbes d’avoir rendu l’homme à lui-même, et le lyrique Cowley, raillant en strophes sonores la vanité des sciences avant rai, célèbre le grand Christophe Colomb des terres d’or des nouvelles philosophies.

Lorsque le premier de ces panégyristes le : vante d’avoir réussi dans la défense d’une philosophie, selon la liberté, philosophiœ secundum libertatem vindicias, on peut se demander de quelle liberté il prétend parler ; mais après tout ce que pouvait par ce mot entendre un doyen de l’église de Bath n’importe guère. Un plus légitime sujet, d’étonnement, c’est de voir aujourd’hui de véritables, d’éminens amis de la liberté élever avec empressement un