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des principales villes de mon empire. Des changemens deviendront nécessaires ; la sûreté de mes frontières et l’intérêt bien entendu des deux pays l’exigent. » Si une insurrection hollandaise eût appuyé le mouvement des Anglais sur Anvers, l’empereur n’eût pas autrement parlé, et la Hollande était bien récompensée de sa fidélité à l’alliance française. Louis n’assistait pas à la séance où ces paroles furent prononcées. Sans en connaître d’avance la teneur, il avait eu la veille avec son frère une discussion beaucoup plus vive que la première. En présence du comte de Fontanes, président du corps législatif, l’empereur avait donné un libre cours à sa malveillance contre la Hollande. « C’est une colonie anglaise, avait-il dit, plus ennemie de la France que de l’Angleterre… Je veux manger la Hollande. » Le 4 décembre, le roi alla demander à l’empereur des explications sur ces paroles. Il revint très abattu et ne put dissimuler ses craintes au baron Roëll. Dans un autre entretien, Napoléon dit à son frère : « Je veux être seul maître ; vous avez le choix, ou finir vos jours comme prince français en France ou ailleurs, ou accepter un autre royaume en Allemagne, où j’aurai bien l’occasion de vous en donner un ; la seule chose à considérer pour le moment, c’est le mode d’après lequel la Hollande sera réunie à l’empire. Vous pouvez abdiquer volontairement ou me déclarer la guerre ; dans ce dernier cas, je n’aurais aucun ménagement à garder avec la Hollande ; dans le premier, on pourrait encore stipuler plusieurs conditions avantageuses pour elle. »

Le roi était au désespoir d’être venu se jeter à Paris dans l’antre du lion. Il devait tenir tête, malgré ses chagrins, aux visites officielles qu’il recevait du corps diplomatique et des grands corps de l’état, depuis les députations du sénat et de l’université jusqu’à celle du cardinal Maury. Tous ces personnages lui parlaient de son auguste frère et de sa couronne royale comme si le premier eût toujours été le meilleur appui de celle-ci, et il fallait répondre sur le même ton. Les entretiens consécutifs que Louis eut avec Napoléon ne furent que la répétition des précédens. Le roi de Hollande apprit de la bouche même de l’empereur que, s’il n’avait pas tenu à ménager la Prusse en 1806, et que si, lors de la campagne d’Iéna et de Friedland, Louis n’eût pas été déjà sur le trône de Hollande, ce pays eût été dès lors réuni à la France.

Tout à coup l’empereur modifia son langage et apprit à Louis qu’il avait autorisé son ministre des affaires étrangères, le duc de Cadore, à traiter avec le baron Roëll pour voir si, moyennant quelques sacrifices, il n’y aurait pas encore moyen d’éviter l’extrémité de l’annexion. Cette négociation était d’autant plus difficile pour le ministre hollandais que le duc de Cadore lui déclarait ne pas savoir