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cile s’occupe des affaires du ciel, qui ne laissent pas quelquefois d’être aussi embrouillées que la politique terrestre, et où l’on ne voit pas plus clair. Certes il n’y a pas dans le parlement le plus agité de l’Europe une question qui mette plus de passions aux prises, qui provoque plus de discours que l’infaillibilité pontificale. Jusqu’ici évidemment il y a eu au sein du concile deux courans distincts, et on a pu dire sans illusion, sans trop prendre un désir pour une réalité, que s’il y avait un parti puissant, opiniâtre, marchant à son but, — la proclamation de l’infaillibilité, — avec une résolution inflexible, il y avait aussi une résistance sérieuse, énergique, décidée à ne céder le terrain que pied à pied. Les débats conciliaires sont la plus claire attestation de ce conflit intime et permanent, et, à ne considérer que le nombre des orateurs, l’opposition était certainement de force à faire attendre la victoire aux partisans de l’infaillibilité. Vaincue ou plutôt réduite au silence par un coup d’autorité dans la discussion générale, elle a recommencé la lutte dans les détails à propos des divers chapitres du schema déjà trop fameux. De nouveau les discours ont succédé aux discours.

Parlons franchement, c’est une sorte de combat d’honneur que la majorité du concile laisse se prolonger malgré la fatigue de ces vieillards et la chaleur torride de Rome, uniquement pour ne pas paraître enlever un vote par la violence. Au fond, le résultat est connu d’avance, et ceux qui ont cru à quelque transaction possible au dernier moment en seront certainement pour leurs frais de confiance. L’infaillibilité sera proclamée. Ce devait être d’abord pour la fête de saint Pierre, maintenant ce sera pour l’octave de la Saint-Pierre, si tout n’est pas fini avant ce jour. Pour la première fois le télégraphe servira de messager au Saint-Esprit en nous annonçant la grande nouvelle de l’avènement du pape au rang surnaturel et miraculeux de personne infaillible. Fort bien ; mais les difficultés pourraient ne pas tarder à naître, et les rapports du saint-siège avec tous les gouvernemens pourraient se compliquer singulièrement. L’infaillibilité est une affaire entre le pape et le ciel ; la direction de l’église dans ses rapports avec les pouvoirs de ce monde est une autre question, et pour peu qu’on y prenne garde, on peut remarquer que depuis quelque temps la politique romaine prend d’assez étranges allures. Pendant que les évêques discutent dans le concile, le pape entre en dialogue avec les clergés inférieurs, avec les laïques qui lui envoient des adresses ; il les entretient avec abandon de l’infaillibilité ; il remercie quelques prêtres de Marseille de se trouver en désaccord avec leur évêque, qui est un des prélats les plus éclairés, mais qui a le malheur de n’être point partisan du grand dogme ; il fait de même avec des prêtres du diocèse de Perpignan, et, pour couronner le tout, il a fait adresser récemment au nonce pontifical à Paris un bref par lequel il remercie en général le clergé secondaire de France de son dévoûment, de ses chaleureuses manifestations en faveur de l’infaillibilité. Ce bref a