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l’enseignement du grec dans notre pays, sur les efforts de nos poètes et de nos prosateurs de tous les temps pour s’assimiler les œuvres les plus parfaites de l’imagination ionienne, du génie dorien, de l’esprit attique, pour y chercher des modèles, pour y puiser du moins des règles du goût. Tel critique de notre temps a circonscrit ses études curieuses et délicates sur quelques noms isolés de la littérature grecque ; il s’est plu à choisir ceux qui paraissaient délaissés, négligés. Tel autre, à qui cette langue « aux douceurs souveraines « serait plus familière, aurait peut-être eu plus d’ambition, et se serait attaqué à des époques entières, au XVIe siècle, par exemple, ou à la fin du XVIIIe. M. Egger a eu la bonne pensée d’étendre par toute l’histoire de notre littérature cette prise de possession de l’élément grec. Depuis le moyen âge jusqu’à nos jours, partout où peut se trahir une imitation, un souvenir de la Grèce, il est chez lui. Non-seulement c’est son bien qu’il recherche, mais il connaît, il a fouillé suffisamment le sol de la littérature française pour savoir où se cache quelque filon hellénique.

Nous retrouvons dans ce livre plein de faits, d’observations utiles, de rapprochemens curieux, cet ordre facile qui permet de ne rien négliger, cette méthode qui se compose sans doute de revues successives pour ne rien oublier, méthode qu’on pourrait appeler « d’épuisement, » exhaustive, pour nous servir d’un mot anglais qui nous manque. Nous retrouvons cet enchaînement où l’auteur aime à ranger tous les faits de la science qu’il enseigne, en sorte qu’ils se tiennent dans sa pensée et se suivent toujours sans interruption. Il a fait pour le grec ce que d’autres maîtres ont fait avant lui pour les autres littératures. Il a parcouru toutes les périodes, il a raconté la succession des siècles, mais en trouvant le secret de descendre dans les détails. Ce livre même est une preuve constante et de son goût pour les monumens complets et de sa passion pour l’exactitude des faits particuliers. Je ne crois pas que l’entreprise de revenir sur le sujet traité par M. Egger soit tentée de sitôt ; mais, quand on y reviendra, on se contentera sans doute de serrer de près des époques, des noms, des œuvres. Il ne s’agira plus de la question générale de l’influence des Grecs sur toutes les périodes de notre littérature. Le travail est fait désormais. La critique fera bien de prendre tel ou tel épisode pour l’étudier plus à fond., M. Egger a fait avec une autorité incontestable l’œuvre d’ensemble qui manquait encore, et c’est précisément pourquoi la carrière qu’il a parcourue doit être considérée comme fermée.


LOUIS ETIENNE.