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promis par le traité de Versailles ? ou bien, profitant des griefs personnels que l’agression de Frédéric lui avait ménagés, la France ferait-elle campagne pour son compte, avec telles forces et suivant tel plan que bon lui semblerait, au nom du traité de Westphalie violé et des privilèges méconnus de son ambassadeur ? Quelques amis obstinés de la paix, quelques vétérans attardés de l’ancien système européen, plaidaient timidement pour la guerre restreinte au rôle moins compromettant d’auxiliaire ; mais tous les habiles qui voulaient plaire, tous les braves qui étaient pressés de dégainer, demandaient impatiemment que la France, ne prenant conseil que d’elle-même, marchât tout de suite enseignes déployées sur le Rhin. Sur ce point encore, le comte partageait l’opinion dominante, et s’associait au cri général. les le premier jour, il s’était indigné à la pensée que la France pût se contenter d’un rôle secondaire là où elle risquait un intérêt capital, et, sentant bien qu’une fois le canon tiré, l’état qui conduit l’armée mène aussi la politique, il voulait à tout prix garder la haute main sur l’avenir pour la France et pour lui-même, s’il était possible.

Tout semblait donc se réunir pour faire du comte de Broglie, dans cet instant décisif, un conseiller agréable et facilement écouté. Il n’en fut rien cependant. A travers les politesses et même les tendresses officielles, malgré le cordon bleu dont on le gratifia presque au lendemain de son arrivée, il ne tarda pas à remarquer chez tous les personnages en faveur une nuance de froide réserve, qui devint de jour en jour plus visible. On le consultait pour la forme, sans lui dire ce qu’on voulait faire de son avis, et, cet avis une fois reçu, sans paraître ni en garder mémoire ni en tenir compte. Ni son expérience des cours ni sa connaissance des armées allemandes n’étaient mises sérieusement à contribution. Toutes les décisions étaient débattues entre Mme de Pompadour, le maréchal de Belle-Isle et l’abbé de Bernis dans un cabinet particulier dont la porte ne lui était pas ouverte. A ses regards furtivement lancés, à ses questions discrètes, mais pressantes, pour pénétrer ce qui se passait derrière ce rideau, on opposait (c’est son expression) une réticence invincible. Le même silence et plus glacial encore répondait à ses insinuations très directes pour obtenir d’être transféré du théâtre désormais insignifiant de Varsovie sur la scène éclatante de Vienne. Il eut même bientôt le dégoût de voir disposer deux fois sous ses yeux de ce poste désiré, sans que personne parût s’inquiéter ni des prétentions qu’il pouvait y élever, ni des services qu’il y pourrait rendre. Une première fois ce fut l’abbé de Bernis qui se fit désigner lui-même, puis, cet heureux favori ayant été promu dès les premiers jours de 1757 au poste de ministre d’état, la place qu’il laissait vacante sans