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reproduction si exacte de mœurs étrangères et même détestées, on ne pouvait se défendre d’une secrète répugnance pour le défaut d’originalité propre et de franchise, de naturel et de vigueur, qui était l’inévitable condition de tant de souplesse dans l’art d’imiter.

Ce rôle d’un ennemi de la France, empruntant ses mœurs et ses idées pour la mieux combattre, fut précisément celui que joua au XVIIIe siècle Stanislas-Auguste Poniatowski. C’était un beau jeune homme, de haute stature, d’une figure régulière bien qu’un peu molle, d’un port presque royal, doué d’une élocution facile et de cette flexibilité gracieuse d’esprit et de corps qui est le propre du tempérament slave. Deux années de séjour à Paris, où une mère ambitieuse l’avait envoyé de bonne heure se former, avaient fait de lui un cavalier accompli et un aimable débauché auquel ni le maréchal de Richelieu ni le duc de Lauzun n’auraient pu trouver rien à reprendre. Il excellait dans le triple talent du courtisan français, séduire les femmes, se tirer avec éclat d’une affaire d’honneur et accumuler les dettes sans les payer ; mais à ce savoir-vivre du grand monde Poniatowski, pour achever de se mettre à la dernière mode, avait ajouté une légère teinture de la philosophie nouvelle. Il citait à tout propos les vers des tragédies de Voltaire, principalement ceux dont le tour sentencieux, très goûté alors, ne nous paraît plus aujourd’hui que le vêtement assez médiocre de froids lieux-communs. Quelques axiomes sonores sur la tolérance et l’égalité, le progrès des lumières, l’amour de l’humanité, quelques lambeaux de déclamations contre le fanatisme, lui avaient fait bientôt un renom dans le monde des encyclopédistes. Il brillait surtout sous ce rapport dans le salon bourgeois de Mme Geoffrin, où les nouveaux docteurs tenaient le dé de tous les entretiens, mais où la société, n’étant pas du premier choix, goûtait fort l’honneur de philosopher en compagnie d’un jeune seigneur. La vieille dame l’appelait son élève et son enfant, et le charmant vaurien mit à l’épreuve cette maternité en lui laissant à son départ ses notes à payer et ses créanciers à satisfaire. De retour en Pologne, ce Français d’emprunt, qui n’avait que le mot de civilisation à la bouche, devint sans scrupule l’instrument choisi par ses oncles pour étendre sur la Pologne la domination de la barbarie, personnifiée dans l’influence russe. Personne n’embrassa plus chaudement que lui l’étrange dessein de réformer avec le concours d’un despote étranger les institutions politiques de sa patrie. Ces institutions d’ailleurs, gothiques et vieillies, ne lui inspiraient que du mépris ; au nom des droits abstraits de l’homme et du citoyen, il était tout prêt à faire litière des vieilles libertés chrétiennes et aristocratiques de la Pologne. C’est ainsi du reste que presque partout en Europe, dans cette seconde moitié du XVIIIe