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accusait à Paris d’être une province anglaise, passait à Londres pour un pays déjà français.

Pendant que ces négociations se poursuivaient, les affaires empiraient en Hollande sous le coup d’appréhensions que ni les efforts ni le silence des ministres ne pouvaient conjurer ; le crédit de l’état avait sombré, les caisses se vidaient et ne se remplissaient plus. On avait dû, faute de ressources, suspendre le paiement d’intérêts déjà ordonnancés. La navigation et la pêche étaient tellement contrariées par les mesures de police, que plus de 3,000 marins, ne sachant que faire ni que devenir, avaient passé en Angleterre pour pouvoir vivre de leur profession[1]. L’armée française du Brabant marchait sur Breda et Berg-op-Zoom, et annonçait hautement l’intention d’en prendre possession au nom de l’empereur. On réclamait à grands cris le retour du roi. Louis, bien que sachant son frère opposé à son départ, voulut payer d’audace. Il fit ostensiblement ses préparatifs de départ, alla prendre congé des personnes de sa famille, du roi et de la reine de Bavière, se fit annoncer chez l’empereur lui-même, et eut avec lui une nouvelle altercation des plus vives. L’empereur était furieux. Il venait d’apprendre que les commandans hollandais de Breda et de Berg-op-Zoom avaient refusé de recevoir les troupes françaises autrement qu’en alliées, en troupes de passage, et de se dessaisir du commandement. Le général Maison, qui commandait, la division française, ayant insisté conformément à ses instructions, s’était arrêté, de peur de provoquer un conflit des plus graves, et demandait des ordres plus explicites. Voici le dialogue qui s’établit entre les deux frères, tel que le baron Röell l’a reproduit en français, en quelque sorte sous la dictée de Louis.

L’empereur, en proie à la plus vive colère : « Le maréchal Oudinot est un imbécile ; il aurait dû faire prendre les villes d’assaut et pendre les commandans ; mais je les ferai pendre à présent moi-même. » — Le roi : « S’il s’agit de pendre quelqu’un, c’est moi ; c’est par mes ordres qu’ils ont agi. » — « Et pourquoi leur avez-vous donné l’ordre de ne pas ouvrir les portes sans un ordre de votre part ? » — « Parce que c’est à moi qu’il fallait s’adresser, si l’on voulait mettre des troupes dans la ville, et non pas à mes sous-ordres ; d’ailleurs je veux éviter de paraître de moitié avec vous dans tout ceci. » — « Vous avez donc agi tout à fait contre votre intention, car, si les troupes y étaient entrées sans que vous en eussiez été informé, personne n’aurait cru que c’était de votre aveu ; mais, à

  1. On se fera une idée du régime auquel ils devaient se résigner quand on saura que tout bateau pécheur devait, pour avoir le droit de jeter ses filets à quelque distance du littoral, emporter un ou deux garnisaires chargés de veiller à ce qu’aucune communication n’eût avec des croiseurs ou des barques anglaises.