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avait déployé une grande habileté dans l’exercice de sa charge. Non-seulement il avait préservé sa province de la contagion de la révolte en 1857, mais c’est avec les forces dont il disposait, et qu’il dirigea sur l’Oude, que l’on s’en rendit maître. Cette promotion fut ainsi la récompense des services signalés qu’il avait rendus. Jugée avec sévérité par les fonctionnaires, qui n’aiment pas à voir leur égal de la veille devenir tout à coup leur supérieur et leur maître, elle fut au contraire bien reçue par l’armée et la population indépendante. Quant aux Hindous, cette nomination leur fut agréable. « Au moins celui-là, dirent-ils, n’aura pas besoin de faire un stage de trois ans pour être à même de remplir ses devoirs. »

Mais s’il avait rempli avec distinction une place de second ordre, s’il s’était montré un administrateur éminent, sir John Lawrence ne fut pas aussi heureux quand il fut élevé au trône vice-royal. Il est assez rare qu’un fonctionnaire qui a franchi tous les degrés de la hiérarchie bureaucratique, qui s’est façonné dans ce milieu étroit, finisse par devenir un homme d’état à grandes et fortes conceptions. Sa première éducation déteint sur ses mesures, qui manquent d’ampleur. Aux Indes, le corps officiel éprouve un profond éloignement pour la partie indépendante de la population européenne. S’il ne tenait qu’aux fonctionnaires, aucun Anglais en dehors de leur corporation ne viendrait s’y établir. Ils ont le pressentiment que la formation d’un élément européen considérable amoindrirait leur grande position, et que leurs traitemens fabuleux seraient réduits de moitié. Sir John Lawrence se montra toujours fort peu favorable à cette classe de ses administrés. Cette lacune de son esprit était surtout visible dans le peu de zèle qu’il déploya pour la construction des chemins de fer, parce que ces travaux attiraient un grand nombre d’ouvriers anglais. Peut-être subissait-il dans cette circonstance l’influence des Hindous, qui éprouvent pour cette catégorie d’étrangers une invincible antipathie. En revanche, le bien-être des soldats eut toute sa sollicitude, et les nombreux employés du gouvernement ne furent pas oubliés dans ses faveurs. Ceux-ci cependant ne répondirent nullement à ses généreuses intentions, et furent toujours mécontens de ses choix et de son administration en général. De son côté, la noblesse hindoue ne lui pardonna pas les mesures qu’il avait prises pour poser des limites à sa puissance et soustraire les laboureurs à des coutumes oppressives et souvent dégradantes. En somme, il n’était pas populaire, mais aux Indes le chef de l’état peut se passer de toute popularité ; il n’est responsable que devant la couronne et la législature anglaises, lesquelles se trouvent dans un autre hémisphère : aussi est-il dans son palais et au milieu de ses états un monarque omnipotent. Ni la presse