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police : aussi les magistrats européens ne sont-ils jamais sûrs de la fidélité de leurs rapports et de leur témoignage. Ils vendent leur concours et servent d’instrumens à la haine ou à la vengeance. A leurs yeux, un criminel n’est qu’un maladroit qui n’a pas su tirer les marrons du feu sans se brûler, un joueur malavisé qui a perdu la partie. Il n’y a qu’une voix dans la classe éclairée de l’empire pour condamner la police dans la manière dont elle exécute son mandat. Comme cette police est récompensée en raison du nombre de coupables qu’elle appréhende et fait condamner, il n’y a point d’efforts qu’elle ne fasse pour obtenir de l’avancement ou des avantages pécuniaires. Le témoignage n’ayant aucune valeur parmi les Hindous, c’est sur l’aveu de l’accusé que les juges prononcent leur condamnation ; la police est donc intéressée à obtenir le plus d’aveux possible. Pour atteindre ce but, elle ne recule devant aucun moyen, quelque odieux qu’il soit. On prolonge la prison préventive et le secret, si la geôle le permet ; mais il est avéré, malgré les nombreuses dénégations de la magistrature, que l’on a souvent recours à une véritable torture pour arracher un aveu. M. Prichard donne même une liste des variétés de questions au service de la police, et encore en supprime-t-il plusieurs qu’il ne serait pas convenable de publier.

Ce sujet est de la plus haute importance, et l’on comprend qu’une commission ait été nommée pour l’examiner à fond et proposer les modifications dont il pourrait être susceptible. La police est l’institution par laquelle le gouvernement entre en contact journalier avec le peuple ; c’est la chaîne qui rattache la locomotive au train. En vain une nation possède un système judiciaire excellent et une magistrature intègre, en vain son budget s’équilibre sans emprunts et l’assiette des impôts atteint sa perfection, en vain l’ordre le plus complet préside à toutes les branches de son administration ; si sa police est composée d’hommes sans principes, ignorans et serviles, le peuple sera opprimé, et son gouvernement dans maintes circonstances se convertira en un instrument de tyrannie. La police dans l’empire indo-britannique est un corps considérable, et pourrait devenir un sérieux danger, si elle n’était composée que de ces élémens malsains. L’ensemble des dépenses qu’elle occasionnait pour les quatre présidences sous le gouvernement de la compagnie s’élevait à la somme de 3 millions de livres sterling. Ce chiffre a été diminué d’un tiers, et l’effectif du corps de police porté à 150,000 hommes, savoir un agent pour 1,000 habitans, avec un salaire de 135 roupies par année, soit 325 francs. Toutes les améliorations doivent porter sur le choix des agens et sur leurs attributions, qui doivent avoir le caractère plus protecteur qu’accusateur.