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de mettre à profit cette démarche inconsidérée du gouvernement anglais pour en obtenir de sérieux avantages. Ils consentirent à conclure un traité avec la puissance britannique, mais à la condition qu’elle leur céderait un des meilleurs et des plus riches districts de la province limitrophe d’Assam. L’envoyé refusa de souscrire à une telle clause et ordonna le départ, mais les chefs firent répandre le bruit que, s’il faisait lever son camp pour s’en retourner, il serait indubitablement arrêté avec sa suite. Dans cette extrémité et se croyant beaucoup plus en danger qu’il ne l’était en réalité, car il est peu probable que ces menaces eussent été suivies d’exécution, il apposa sa signature en y ajoutant ces mots : « par contrainte. »

L’émotion fut vive à Calcutta quand on apprit le honteux traité qu’une nation semi-barbare venait d’imposer à l’empire. Non-seulement le district cédé passait pour un des plus fertiles, mais il était en grande partie occupé par des Européens qui y avaient des plantations de thé. On ne pouvait donc pas songer un instant à l’abandonner au Boutan. Le traité fut annulé, et en novembre 1864 le vice-roi déclara la guerre à ce pays pour avoir insulté, outragé son ambassadeur. L’issue de cette guerre ne pouvait être douteuse. L’armée n’opéra cependant que dans le Boutan inférieur, dont elle s’empara, non sans avoir essuyé des pertes sensibles. Comme cette portion du pays était la plus favorisée, les Anglais la gardèrent. A la paix, qui fut signée en 1866, le gouvernement de Calcutta s’engagea toutefois à fournir aux deux rajahs du Boutan une indemnité annuelle d’un chiffre peu élevé, mais que le vice-roi promit de doubler dans le cas où ils se-conduiraient en bons voisins.

Si de cette contrée semi-thibétaine on longe la chaîne de l’Himalaya dans toute son étendue en suivant la ligne au nord-ouest, on arrive aux dernières limites de la domination anglaise, en face de l’Indus et sur la frontière méridionale de la célèbre vallée de Cachemire. L’on a devant soi un système de montagnes dont plusieurs mesurent jusqu’à 10,000 pieds d’altitude. Un inextricable réseau de vallées circule autour de ces hauteurs, et présente une surface fortement défendue par la nature. Le bourg de Sittana, bâti sur les hauteurs qui surplombent la vallée de l’Indus, était avec plusieurs autres le quartier-général et le centre d’un mouvement religieux parmi les Hindous musulmans, qui avait pour auteur un certain prophète du nom de Wahabi. Il voulait rendre à l’islam son antique pureté et sa première ferveur, dont le point le plus précieux était la haine des infidèles. Il répandait sa doctrine par ses prédications et ses pamphlets dans le bassin supérieur du Gange et surtout à Patna, où il comptait un grand nombre de disciples, même parmi les employés indigènes du gouvernement. La société hindoue se