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pleuvait sur Bombay. Les populations agricoles qui s’adonnèrent plus exclusivement à cette culture accumulèrent richesses sur richesses. Des zemindars, ne sachant plus quel emploi donner à leur argent, en firent faire des bandes pour les roues de leurs véhicules[1].

Il n’y a pas de médaille sans revers. Cette impulsion donnée à la culture d’une seule plante dérangea l’économie du travail, et jeta le désordre dans l’ensemble des productions naturelles. La culture des denrées de première nécessité fut trop négligée. Les plantes édibles durent céder leur place aux cotonniers. L’élevage des bestiaux en souffrit. A Pouna, les familles d’officiers ne pouvaient acheter de la viande que deux fois par semaine, et bien des employés se trouvaient dans des positions critiques avec des traitemens considérables. Il fallut du temps avant que l’équilibre se rétablit et que les marchés des comestibles reprissent leur allure ordinaire.

Les fortunes colossales que la culture et la vente du coton avaient créées appelèrent l’attention des capitalistes et des spéculateurs sur les produits naturels de l’Inde. Ils crurent trouver dans le thé un arbuste qui donnerait des résultats analogues au cotonnier. Il est indigène dans l’Assam, et des essais sur une échelle fort réduite avaient réussi au-delà de toute espérance dans le nord-ouest. La fièvre du thé s’empara de la population européenne. Au lieu d’avancer graduellement comme l’expérience le commandait, on voulut faire faire à cette culture des pas de géant et supplanter la Chine en quelques années. Des compagnies par actions se formèrent dans tous les grands centres de population et lancèrent des prospectus qui promettaient des dividendes magnifiques. Toutes les terres qui purent être employées à cette culture furent louées ; 246 plantations de première grandeur occupaient 123,000 acres dans l’Assam. Les locations de terre dans le Cachar présentaient le chiffre de 558,000 acres, et les districts à thé dans le Pundjab et les provinces du nord-ouest en couvraient une surface de 35,000. Les actions de ces compagnies montèrent d’abord à des prix fabuleux, mais la précipitation avec laquelle on avait mis la main à l’œuvre, l’étendue des terres consacrées à cette plantation, l’inexpérience des ouvriers, leur nombre comparativement trop petit, les variations inattendues de la température, trahirent les intérêts des actionnaires et des planteurs. Les actions perdirent toute leur valeur ; les

  1. Les Hindous sont opiniâtrement attachés à leurs vieilles coutumes, et ne voulurent jamais être payés en or. En vain l’autorité suprême et le conseil législatif sont-ils intervenus pour mettre en circulation les pièces d’or et en faire la seule monnaie légale, tout a été inutile. Il a fallu réembarquer des masses énormes d’or que l’on avait fait venir pour les besoins du commerce et aller chercher dans plusieurs pays, et surtout en France, les pièces d’argent que les vendeurs de coton réclamaient impérieusement.