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11 avril, il était à Amsterdam ; il eut soin d’y arriver à une heure avancée, redoutant l’accueil qui l’attendait de la part de la population, s’il fût entré dans la ville en plein jour.

Il s’alarmait à tort. Le peuple était plutôt content de son retour, content même de la tournure inespérée que les choses avaient prise : non certes que l’opinion fût indifférente aux pertes de territoire qu’on avait dû subir, à l’aggravation de charges que le traité faisait peser sur une population diminuée ; mais les nouvelles reçues de France pendant les trois derniers mois avaient été si alarmantes qu’on se réjouissait encore d’en être quitte à ce prix. On savait gré au roi de la résistance opiniâtre qu’il avait opposée aux injonctions de son frère ; nul ne songeait à lui reprocher d’avoir enfin cédé pour éviter de plus grands malheurs, et quand il se montra de nouveau à ses sujets, à défaut d’un enthousiasme qui eût par trop juré avec la situation, il ne vit que des visages sympathiques, exprimant sans doute de patriotiques tristesses, mais plus encore la part que l’on prenait à ses humiliations et à ses chagrins. Pour se bien rendre compte de cet état des esprits dans la Hollande de 1810, il faut se mettre au point de vue de l’opinion hollandaise à cette époque, telle que nous la trouvons consignée dans le mémoires du temps et dans les souvenirs des contemporains.

Personne ne croyait plus à la longue durée de l’empire français. Peut-être même inclinait-on un peu trop à penser que le démembrement qu’on pressentait ne tarderait pas à s’opérer. Les conquêtes et les annexions avaient soumis à la France un très grand nombre de pays divers, dont l’unique lien consistait dans la terreur inspirée par le maître. L’inévitable dislocation du gigantesque empire était passée à l’état d’évidence aux yeux des marchands d’Amsterdam, des professeurs de Leyde ou des marins du Helder, aux yeux de tous ceux enfin qui connaissaient l’histoire par leurs études et l’Europe par le commerce, et c’est précisément l’originalité de la Hollande d’avoir toujours eu des hommes de science et des hommes d’affaires en très grand nombre. « Dans notre pays de souvenirs classiques, me disait un honorable vieillard dont le père était reçu à la cour de Louis, nous étions tous très frappés des analogies qui existaient entre l’empire de Napoléon, celui d’Alexandre le Grand et celui de Charlemagne. Après un temps de grandes agitations, un conquérant se sert de la lassitude des uns et de l’énergie guerrière des autres pour forger à grands coups d’épée un empire immense ; mais, dès qu’il meurt, les divers morceaux de cet assemblage contre nature se disjoignent. Les généraux de l’empereur des Français, nous disions-nous, ne songeront, comme ceux d’Alexandre ou comme les fils de Charlemagne, qu’à s’assurer chacun son lopin dans le partage final. Si seulement nous pouvons atteindre ce moment, nous