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pour M. Robin. Son ardeur laborieuse ne s’est pas refroidie, et il poursuit ses recherches avec la même assiduité que la rédaction des ouvrages où il résume son enseignement. Ces ouvrages attestent d’ailleurs que la science française n’est point déchue de sa lucidité traditionnelle, de sa précise méthode, ni de sa philosophique élévation. Quoique sévère, trop sévère peut-être pour les métaphysiciens, il aime ce qui est général, compréhensif, et les sommets d’où, l’on découvre l’ensemble régulier des détails. Lisez les préfaces qu’il a mises en tête de ses livres, et vous verrez que cet homme, habitué à supputer les infiniment petits, est familier avec les vastes doctrines. C’est en vérité le plus bel éloge qu’on puisse faire d’un savant moderne.

Si l’on compare les unes aux autres, non-seulement sous le rapport du génie scientifique, mais encore touchant les traits du caractère et les allures de la pensée, les grandes personnalités dont l’histoire conserve le souvenir, on est conduit à remarquer que les mêmes figures se reproduisent souvent avec une étonnante similitude. Quelle curieuse ressemblance de mœurs, de tendances, d’habitudes intellectuelles et, jusqu’à un certain point, de doctrines, nous offrent, par exemple, Baglivi, Brown et Broussais, ces trois célèbres et fougueux réformateurs de la médecine ! Quelle singulière identité et pour l’aptitude merveilleuse à toutes les sciences et pour la clarté de l’esprit, pour la manière d’écrire et pour le goût de dominer, entre Haller et Cuvier ! Spinoza, Kant et Hegel, tous trois épris de l’idée pure, absorbés par elle, plongés dans le commerce de l’absolu, entièrement détachés des choses de ce monde, ne nous apparaissent-ils point également comme une répétition l’un de l’autre ? Lamarck, Delamétherie, Etienne-Geoffroy Saint-Hilaire, Darwin, encore des esprits tout à fait de même lignée et de même figure ! Étrange métempsycose du génie, avec non moins de justesse, M. Robin pourrait, ce semble, être rapproché de Bichat, natif comme lui du département de l’Ain. Leurs physionomies scientifiques ont beaucoup d’analogies, et ils ne diffèrent guère que par leurs habitudes de style. Tous deux infatigables et opiniâtres dans la recherché, distinguant nettement le but de leurs efforts, marchant d’un pas mesuré, avec méthode, c’est-à-dire avec sûreté, tous deux possédant le sentiment le plus juste et le plus exquis des harmonies vitales, tous deux dogmatiques et systématiques, ils ont concouru à cinquante ans d’intervalle à l’édification du même monument. L’un a commencé, l’autre a terminé les fondemens de l’anatomie générale.

L’ensemble des travaux de M. Robin constitue d’ailleurs un des plus intéressans chapitres de l’histoire de la science française au