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population, vivre d’une taxe qui anéantit chaque année, sans compensation, une somme de 300 millions de francs ? Voilà les questions que vous trouvez chaque jour posées dans les feuilles anglaises. Dès que l’on étudie les faits, ce désolant problème vous saisit et vous remplit d’angoisses. Certains économistes de la nouvelle école, Mill, Leslie, Fawcett, certain parti dont l’importance grandit et dont M. Bright est l’orateur le plus éloquent, soutiennent que l’une des causes principales de la situation exceptionnelle où se trouve l’Angleterre est la grande propriété, qui refoule la population des campagnes dans les villes, abaisse ainsi le salaire, arrête l’élévation des classes inférieures, amène un partage inégal du produit net, et restreint la place dont aurait besoin un peuple qui grandit. C’est une manière nouvelle d’expliquer des faits déjà connus ; nous essaierons d’examiner ce qu’elle a de fondé.


I

Pour comprendre toute la gravité de la question agraire en Angleterre, il faut savoir comment la propriété de la terre est venue se concentrer aux mains d’un petit nombre de familles. L’histoire de la propriété foncière et des classes rurales dans ce pays, malgré l’extrême intérêt qu’elle présente, n’est pas encore parfaitement connue ; néanmoins différens ouvrages, entre autres ceux de M. Thorold Rogers et de M. Nasse, professeur d’économie politique à l’université de Bonn[1], permettent d’en saisir les traits principaux.

On ne connaît le régime agraire de l’Angleterre que depuis l’époque saxonne. Il était alors semblable à celui qui existait en Germanie du temps de Tacite. Le régime pastoral et la propriété commune existaient à côté du régime agricole et de la propriété individuelle. Le territoire de la tribu, la marche, était divisé en trois parties. La première était le folc-landy la partie restée commune à la tribu, au village (tunscip, township). Elle comprenait le pâturage, où chaque habitant avait le droit de faire paître ses troupeaux, aussi bien que la forêt, où il envoyait ses porcs à la glandée, où il prenait tout le bois dont il avait besoin. Cette partie demeurait complètement indivise, et l’usage en était commun à toutes les familles du tunscip. La seconde partie de la « marche »

  1. History of agriculture and prices in England, by J.-E. Thorold Rogers. Ce livre offre le plus grand intérêt, mais il est encore loin d’être terminé. L’étude de M. Nasse intitulée Ueber die mittelalterliche Feldgemeinschaft in England est une excellente monographie où les faits sont exposés et expliqués avec une sûreté d’érudition vraiment remarquable. — Voyez aussi les essais de MM. Wren Hoskyns et Morier dans le volume du Cobden Club, on Land Systems.