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n’en reste pas moins vrai que tous les hommes libres étaient encore propriétaires au moment de la conquête normande.

Beaucoup de traces de l’antique régime agraire saxon ont subsisté jusqu’à nos jours. La commission d’enquête nommée par la chambre des communes en 1844 pour préparer une loi sur l’appropriation des communaux a publié dans son rapport des faits curieux que M. Nasse a très bien résumés. Les parcelles sont encore parfois disséminées dans les trois grandes divisions de la rotation triennale. La culture imposée par le pâturage des chaumes est respectée ; on appelle les terres traitées ainsi champs communs (commonable, open fields). En 1844, les communaux ouverts au bétail de tous les habitans étaient très étendus dans les comtés du centre et de l’est. Dans le Berkshire la moitié du territoire, dans le Wiltshire plus de la moitié, dans le Huntingdonshire 130,000 acres sur 240,000 étaient communs. Partout où les cultivateurs vivent groupés dans le village, la culture en commun a longtemps persisté. Les fermes isolées prouvent que le sol a été partagé et clôturé de bonne heure. Beaucoup de prairies sont divisées en lots qu’on tire au sort ; dans d’autres, les lots sont successivement possédés par chacun des cointéressés. Cette possession alternative était aussi appliquée aux terres arables, seulement l’échange n’avait lieu qu’après la fin de la rotation ordinaire. En Écosse et dans le nord de l’Angleterre, comme en Irlande, les cultivateurs louaient en commun et solidairement tout le territoire de leur village, puis le partageaient entre eux de manière que, par des échanges successifs, chacun arrivât à jouir de toutes les parts. Tous ces usages si contraires aux pratiques modernes de l’agriculture prouvent combien la possession et la culture en commun devaient être enracinées dans les traditions des populations rurales.

Après la conquête par les Normands, le système féodal vint apporter de profonds changemens dans le régime agraire. Le pays se couvrit d’une foule de petits manoirs de grandeur différente, depuis une charrue jusqu’à cinquante charrues, comme disent les textes. Parmi les cultivateurs, on peut distinguer trois classes : premièrement les francs tenanciers (libere tenentes), que les documens anciens appellent aussi socmanni, en anglais socmen ; ils possédaient la terre moyennant une légère redevance fixe à payer au manoir, souvent à la condition d’offrir quelque don en signe de vasselage. C’est de cette souche assez nombreuse de propriétaires cultivateurs qu’est sortie la yeomanry anglaise, qui joua, un rôle si important au moyen âge. La seconde classe était celle des villani ; ils possédaient en règle générale une virgata terrœ d’une étendue de 16 à 48 acres suivant les comtés. Ils étaient tenus de cultiver par corvées la terre