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durant tout le XVIe et le XVIIe siècle, et de temps- en temps de nouvelles lois sont édictées pour y mettre obstacle. Il en paraît une sous Henry VIII, qui ordonne que toute ferme de 30 à 50 acres sera pourvue d’une bonne habitation où un fermier puisse vivre convenablement. « On continue, dit un autre acte, à détruire les villages et à mettre en pâturage les terrains qui avant étaient bien labourés et fumés. » Quelques seigneurs, dit un autre texte de loi, ont 10,000 moutons, d’autres 20,000, d’autres 24,000, et, abusant du droit seigneurial de pâture sur les chaumes, ils rendent la culture impossible.

Pendant le XVIe siècle, la grande propriété continua ses envahissemens. Les écrits du temps sont remplis des plaintes les plus vives à ce sujet. L’évêque Latimer s’écrie dans un sermon prêché à la cour d’Edouard VI en 1549 : « Là où autrefois on voyait des habitations et des populations nombreuses, on ne rencontre plus aujourd’hui qu’un berger avec son chien. » Puis l’évêque poursuit de ses invectives indignées « ces hommes qui envahissent la terre par leurs clôtures, qui la transforment en herbages, et qui, n’ayant qu’un souci, élever la rente, transforment la yeomanry anglaise en esclaves dépouillés de toute propriété. » En 1551, l’évêque de Rochester envoie au roi un écrit où il dit qu’il n’y a plus que 10 charrues dans telle localité où naguère on en comptait 40 : 2 acres sur 3 sont soustraites à la culture. Ailleurs, au lieu de 700 hommes vigoureux et propres au service militaire, vous en trouvez 300 misérables et exténués. « La population rurale de l’Angleterre sera bientôt plus semblable aux paysans et aux esclaves de la France qu’à notre ancienne et bonne yeomanry d’autrefois. » « Les riches, dit un autre écrivain, n’hésitent pas à renvoyer les pauvres cultivateurs de leurs maisons et à les chasser comme vermine, prétendant que la terre est à eux. Des milliers de gens mendient maintenant de porte en porte, qui étaient d’honnêtes laboureurs. » Ne croirait-on pas qu’il s’agit de l’Irlande ?

Après la mort de Henry VIII, une commission fut nommée pour chercher un remède aux envahissemens de la grande propriété (for redress of inclosures). Le plus actif des membres de cette commission, John Hales, rédigea une sorte de rapport où la situation est dépeinte sous les plus sombres couleurs. Partout les bœufs et les moutons ont pris la place des cultivateurs, le pays est dépeuplé, le roi ne trouvera plus de soldats. En résumé, il énumère cinq griefs principaux : l’abandon ou la destruction des bâtimens d’exploitation et des villages, la transformation des terres arables en prairies, le trop grand nombre des moutons, la création de grandes fermes par la réunion de plusieurs petites, la suppression de l’antique