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d’œuvre d’utilité ou de bienfaisance qui ne trouve un lord pour l’appuyer de son nom, de son argent et de son temps. La crise cotonnière réduit des milliers d’ouvriers à l’indigence : un lord se met à la tête du comité de secours, y consacre des souscriptions vraiment royales, et, qui plus est, une année de son existence. Un autre s’est donné pour mission de relever par l’école ces malheureux rebuts du paupérisme invétéré, « les enfans déguenillés, » et c’est aux œuvres de charité qu’il a donné sa vie. Celui-ci a toujours été le parrain de toutes les réformes, et l’âge ne refroidit pas son dévoûment au progrès. Son fils, jeune encore, de concert avec une compagne dont l’esprit viril aborde tous les problèmes, marche dans la même voie. Que de noms il faudrait citer, si l’on voulait tout dire ! Ce que nous voulons indiquer seulement, c’est que, si l’état social en Angleterre exige impérieusement des réformes, ce n’est pas la faute de l’aristocratie, que l’on accuse bien souvent à tort, mais celle des lois féodales qui sont en opposition avec les besoins de la société moderne.

Parmi les maux que ces lois produisent, il en est un qui apparaît tout d’abord avec un tel caractère de gravité, que seul il suffirait pour les faire condamner. Il enlève à la société une base sans laquelle il est difficile qu’elle subsiste en paix à notre époque. Quelques mots suffiront pour le faire comprendre.

Sous l’ancien régime, chacun avait une situation fixe et une garantie pour l’avenir. Le paysan, même le vilain corvéable à merci, détenait le champ auquel il était attaché ; s’il était parfois rançonné, pillé, si l’anarchie et les guerres le ruinaient, il était en quelque mesure propriétaire. Il avait l’obligation, mais aussi le droit d’exploiter une partie du sol dont il tirait sa nourriture. Ses charges étaient réglées par la coutume, qui ne changeait point, non par la compétition, qui les rend sans cesse plus lourdes. L’artisan trouvait également au sein de la corporation des garanties d’existence, et son droit exclusif de fabriquer certain produit ou d’exercer certain métier équivalait aussi à une propriété. L’hérédité, les règlemens, la coutume, amenant la fixité des conditions, produisaient dans l’ordre social une grande stabilité. Aujourd’hui au contraire dans le monde économique tout est agitation, incertitude, lutte, alternatives incessantes de progrès et de crises. C’est le résultat de la division du travail, qui rend toutes les industries solidaires, de l’emploi des forces mécaniques, qui groupe un nombre sans cesse croissant d’ouvriers salariés dans un même métier, et de la facilité des échanges internationaux, qui met chacun aux prises avec des rivaux inconnus, dispersés dans le monde entier. La grande industrie travaille non pour la clientèle du voisinage, qu’on peut apprécier, mais pour le marché de l’univers, dont il est impossible de prévoir les besoins.