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commissaires de l’enquête. Depuis la réforme récente de l’assiette des poor rates, les propriétaires n’ont plus le même intérêt à fermer leurs paroisses ; mais partout le nombre des maisons est insuffisant. En Angleterre, on estime qu’il faut 2 cottages d’ouvrier par 100 aères (l’acre équivaut à 44 ares). M. Fraser cite 4 domaines contenant ensemble 4,000 acres, qui devraient par conséquent avoir 80 cottages, et où il ne s’en trouve que 12. D’autres estates de 2,000 acres n’en ont pas un seul. « N’est-ce pas abominable ? s’est-on écrié, ces lords bâtissent des écuries de marbre pour leurs chevaux et des étables admirables pour leurs bœufs, et ils laissent pourrir sur des grabats les travailleurs qui créent leur richesse ! » Cela est vrai, mais c’est qu’ils avaient intérêt à bien loger leurs animaux et un intérêt non moins évident à ne pas loger leurs ouvriers. Or dans l’ordre économique le seul ressort efficace est l’intérêt. La société sera toujours telle que l’intérêt la fera. Changez donc les lois, car vous ne changerez pas l’homme.

Les substitutions et la division du sol en grandes fermes louées à bail sont aussi un obstacle à la construction d’habitations ouvrières. La plupart des grandes propriétés sont substituées. Celui qui possède le domaine n’en a que l’usufruit. Après sa mort, le bien doit aller à l’aîné de la famille, qui peut n’être qu’un parent éloigné. Le possesseur a donc intérêt à jouir de tout le revenu sans en rien employer à élever des constructions nouvelles. Voici comment s’exprime à ce sujet un des commissaires de l’enquête, M. Culley : « Si l’état des maisons ouvrières est si misérable que c’est une honte pour notre pays, cela provient de ce que les propriétaires n’ont ni intérêt ni pouvoir pour les améliorer ; leurs biens sont hypothéqués, et ils n’en ont qu’une jouissance viagère ; ils souffrent de ce qu’ils voient, mais n’y peuvent rien changer. » Un autre commissaire, M. Portman, dit : « Il y a beaucoup de cas où la propriété est si grevée que le revenu suffit à peine pour faire vivre celui à qui elle appartient, et comme celui-ci ne peut en vendre une parcelle, il lui est impossible de se procurer les ressources nécessaires pour bâtir des habitations d’ouvriers. » Ajoutez à ceci l’influence d’un fait général. La terre est louée à de grands fermiers. L’opinion, même celle des gens considérés comme les plus compétens en économie rurale, est hostile aux petites exploitations et favorable à la réduction de l’emploi des bras. Rien n’engage donc le propriétaire à construire des maisons d’ouvriers, et tout l’en éloigne, son intérêt et les théories économiques en faveur. La question de la main-d’œuvre regarde le fermier ; mais le fermier n’ira certes pas élever des habitations sur une terre qu’il loue à l’année ou même pour un terme de quinze ou vingt ans. Les lois sont ainsi faites que