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quel enthousiasme ceux qui se le disputent manifestent au moindre succès dont ils se flattent, il semblerait que le sort de la religion, que les destinées de l’Angleterre sont attachés à la fermeté ou à la faiblesse de cet enfant. On nous dit que sa conversion sera l’événement du siècle ; mais nous n’en sommes pas convaincus. Un jeune lord anglais possesseur d’une grande fortune est un personnage très considérable assurément, fût-il d’ailleurs un imbécile, ce qui n’est pas sans exemple. Cependant, que le choix qu’il fait de telle ou telle religion ait une influence aussi décisive sur les destinées sociales, voilà ce qu’on peut, je crois, révoquer en doute. Si, comme on l’affirme, le marquis de Bute a posé pour modèle de Lothaire, son histoire aurait dû préserver M. Disraeli d’une exagération que je ne crains pas de qualifier de puérile : le marquis de Bute s’est converti au catholicisme, et nous ne voyons pas que cette conversion ait eu jusqu’à présent pour effet de changer sensiblement l’équilibre religieux ou politique du monde.

J’ignore si M. Disraeli s’est aperçu que cette pauvre intrigue ne suffisait pas pour passionner le lecteur ou même pour captiver puissamment son attention ; toujours est-il qu’au sujet que je viens d’indiquer, il a cru devoir rattacher un épisode fort inattendu. C’est l’histoire des incidens qui ont précédé ou accompagné le renvoi des troupes françaises en Italie et la catastrophe de Mentana. Il a plu à l’auteur de dérouler dans son roman la conspiration qui a pour objet de rendre Rome aux Italiens et d’anéantir le pouvoir temporel du pape. Nous assistons aux délibérations du comité national romain, nous pénétrons dans le camp de Garibaldi, nous sommes témoins d’une entrevue secrète entre un agent du pape et l’ambassadeur français en Angleterre, qui discutent devant nous les raisons propres à déterminer l’empereur Napoléon III à voler au secours du pape. En un mot, nous voyons se former sous nos yeux le nœud qui est tranché à Mentana, nous entendons le canon de la bataille, on nous ouvre la porte des ambulances où sont transportés les blessés, enfin nous sommes conduits jusqu’à la veille du concile destiné à consacrer le triomphe de la bonne cause, à raffermir pour jamais la papauté, et qui doit être aussi, du moins on nous l’assure, l’événement du siècle. En sa qualité d’ancien premier ministre, M. Disraeli est sans doute en possession de renseignemens précieux sur ces graves événemens, et plus d’un lecteur s’attendrait à trouver ici de piquantes indiscrétions. M. Disraeli n’est pas homme à trahir les secrets de la diplomatie, il les a prudemment remplacés par des fictions qui ne brillent pas toujours par la vraisemblance ou par la nouveauté.

Le fil par lequel cet épisode est cousu à l’histoire de Lothaire est si artificiel qu’il y a là deux sujets réellement distincts. En tout cas,