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fondés en apparence ne tardent pas à disparaître devant la brutale contradiction des faits.

Nous nous proposons d’éviter ici cette cause habituelle de confusion que l’on retrouve dans la plupart des écrits des publicistes contemporains qui ont abordé l’étude de la question ouvrière. Il nous paraît utile, indispensable même, de porter un moment nos yeux sur la bourgeoisie, de chercher par une impartiale analyse des faits économiques quel est le rôle qui lui incombe dans la production, quelle est la fonction essentielle dont elle s’acquitte, et de nous demander s’il serait possible de remplacer ou de limiter son concours. Existe-t-il dans l’état social une distribution naturelle des tâches ? Est-il dans l’ordre des choses que telle ou telle catégorie de personnes et de familles ait des qualités spéciales qui la rendent plus apte que toute autre à une série déterminée de services ? C’est là une étude préjudicielle qui doit devancer l’adoption de tout plan nouveau d’organisation du travail. Nous croyons que les écrivains, en très grand nombre, qui ont consacré leur talent et leur zèle à la propagande des systèmes actuellement en faveur, — la participation aux bénéfices et la coopération, — n’ont point apporté à l’examen de ce sujet un esprit assez dégagé de parti-pris. La plupart ont supposé de prime abord qu’à la classe ouvrière étaient échues des aptitudes universelles qui n’avaient besoin que d’être développées par quelques années d’apprentissage ou d’école pour qu’elle fût aussitôt en état de remplir toutes les positions, de diriger tous les ressorts du mécanisme social. Aussi lui ont-ils conseillé de quitter immédiatement les vieilles méthodes de travail pour s’adonner à l’association sur la plus large échelle. Ils ont ouvert à ses efforts un champ d’espérances sans bornes, mais où elle a bronché et piétiné dès les premiers pas. C’est qu’on avait admis comme axiome un principe qui aurait eu besoin d’une démonstration rigoureuse. L’on n’avait pas pris garde qu’il y a des qualités et des vertus bourgeoises d’une utilité de premier ordre, et qu’il n’est pas possible d’acquérir en peu de temps. Nous n’avons assurément pour la bourgeoisie ni tendresse exclusive ni flatterie intéressée : elle a ses défauts, ses vices même, comme toute réunion d’êtres humains ; mais son caractère, son esprit, ses traditions, la disposent merveilleusement à un rôle économique qui ne peut être bien rempli que par elle. Pascal a dit avec son grand sens : « Quand l’homme s’abaisse, je l’élève ; quand il s’élève, je l’abaisse. » La bourgeoisie dans ces derniers temps a été assez battue en brèche, négligée, perdue de vue ou traitée en parasite et en tyran, pour qu’il soit permis à un esprit froid et impartial de chercher à définir son véritable rôle économique.