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de l’économie des ressorts. Le petit et le moyen commerce, gérés d’ordinaire par une famille sans auxiliaires, n’ont pas tous ces embarras.

Comment organiser la gérance ? convient-il qu’elle soit collective ou individuelle ? À ne consulter que le côté administratif, il n’y a pas de doute possible : avoir un chef expérimenté, muni d’une autorité suffisante, c’est le seul moyen de bien conduire des affaires si compliquées. Cependant les coopérateurs ne veulent pas abdiquer ; c’est une république qu’ils prétendent fonder, non une dictature. Les plus judicieux demanderont, il est vrai, que le choix des administrateurs soit soustrait au suffrage universel, « qui est enlevé par les plus criards dans les assemblées générales. » Ils recommanderont qu’aucune proposition ne puisse être faite à l’assemblée générale sans avoir été examinée par une commission spéciale, — seul moyen d’éviter les surprises et les votes déraisonnables. Ces conseils de la prudence ne seront pas entendus ; le principe de l’institution l’emporte sur toutes les considérations pratiques, c’est l’esprit populaire qui doit animer ces sociétés d’ouvriers. Coûte que coûte, l’on installera une gérance collective et souvent renouvelable. Il faut, écrivait M. Vigano, l’un des chefs du mouvement coopératif, que chaque société de consommation soit dirigée par un conseil d’administration nombreux, nommé pour trois ans, se renouvelant par tiers, sans que les membres sortans puissent être immédiatement réélus. Cette disposition a pour but d’éviter les coteries. Ainsi à peine ces fonctionnaires auront-ils pu acquérir des connaissances pratiques et l’habitude du métier, que la rigueur des principes démocratiques exigera qu’on les mette de côté ; mais que de temps perdu, que d’allées et de venues, que d’heures enlevées à la famille et au foyer pour ces quinze administrateurs dont on réclame une présence fréquente, une surveillance attentive, un contrôle efficace ! Aussi la plupart de ces petites associations n’ont été que des réunions de camarades, sans esprit de suite, sans unité de conduite. C’est d’ailleurs une singulière erreur que de vouloir fonder une entreprise de commerce sur des élémens si nombreux et si disparates. La responsabilité se disperse et s’évanouit, ce ressort si puissant de l’âme humaine perd sa force vivifiante ; une famille bourgeoise qui se livre à l’industrie même la plus humble y engage son honneur et sa destinée tout entière. Dans les importantes sociétés anonymes, les administrateurs sont des hommes connus qui engagent leur réputation, leur considération, dans la conduite des affaires de leur compagnie, tandis que des ouvriers obscurs n’ont pas ce stimulant et ce frein : après la déconfiture de leur association, ils restent ce qu’ils étaient la veille, leur amour-propre n’en est pas sérieusement froissé. On a voulu persuader à des maçons, à des cordonniers, à