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Les associations ouvrières n’ont pas le mérite qu’on leur avait attribué de vendre à meilleur marché que les commerçans de détail. Pour abaisser les prix du pain et de la viande, pour remplacer les taxes officielles, beaucoup de personnes avaient compté sur la concurrence sociétaire. Vaines espérances ! dans le comité d’études sur la coopération, il a été résolu à une grande majorité que les sociétés coopératives devaient vendre au prix courant du commerce. Comment d’ailleurs vendraient-elles à meilleur marché, puisqu’il a été reconnu que pour beaucoup d’articles ces prix sont à peine rémunérateurs ? Ces associations chétives ont déjà bien assez de mal à se tirer d’affaire sans vouloir diminuer les prix.

Il est pourtant des sociétés coopératives qui réussissent, assure-t-on, et l’on nous montre que leurs comptes annuels se soldent parfois en bénéfices ; mais il faut s’entendre. Examinons les choses de près, nous verrons ces prétendus profits s’évaporer pour la plupart. Il y a deux sortes de sociétés de consommation : les unes sont fondées en grande partie avec des capitaux bourgeois ; elles sont patronnées, dirigées, subventionnées par des hommes influens et expérimentés, qui y mettent de leur argent, y consacrent en outre leur temps. Ce ne sont plus des créations ouvrières, ce sont des œuvres de bourgeoisie, c’est de la philanthropie bâtarde et à notre sens dangereuse ; mais ces entreprises sont bien conduites parce qu’elles ont à leur tête de véritables commerçans, doués de ces vertus traditionnelles ou acquises dont nous avons démontré l’importance. Il n’est pas étonnant que ces institutions réalisent quelques profits ; elles ont tous les élémens de succès : abondance de capitaux, direction habile, généralement homogène, clientèle choisie et compacte, subventions directes ou indirectes. Ce ne sont pas là des fondations ouvrières, ce sont des créations électorales faites en vue d’acquérir une popularité facile ; toutes les conclusions que l’on peut tirer de leur prospérité sont décevantes, ces apparences de succès cachent souvent des sacrifices réels. Une autre espèce de société coopérative, la seule vraie et genuine, pour nous servir d’une expression anglaise, est celle qui est constituée uniquement par des ouvriers. Dans cette dernière catégorie, il est encore possible de rencontrer quelques associations qui annoncent des bénéfices ; mais presque toujours ces bénéfices proviennent d’une sophistication de chiffres. Voici par exemple ce qu’on lit dans le dernier compte-rendu de la société civile de consommation du 18e arrondissement : « Un sociétaire s’étonne du chiffre minime des frais généraux, mais il le comprend en reconnaissant le zèle désintéressé de beaucoup de sociétaires dévoués qui prodiguent leur temps à la société, et dont plusieurs même y mettent de leur argent, lorsqu’ils tiennent la caisse, en rectifiant des erreurs involontaires qu’ils ont commises.