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dans cette croix grecque, où Michel-Ange, son auteur, aurait seul mérité de reposer. A l’extrémité de l’imposant vestibule qui forme un des bras de la croix, se dresse une gigantesque statue de saint Bruno, fort belle œuvre de notre sculpteur Houdon. En face, le chœur, vaste comme une seconde église qui serait annexée à la première, forme l’autre bras de la croix : il est orné de quelques peintures de Romanelli et de Maratta qu’on n’a nulle envie de regarder, et de la belle fresque du Martyre de saint Sébastien du Dominiquin, qu’on est presque fâché d’y rencontrer, et qu’on aimerait autant examiner ailleurs. Aussi cette fresque ne fut-elle-jamais faite pour cette église, elle n’y fut transportée qu’au XVIIIe siècle par un ouvrier mécanicien dont l’habileté est restée traditionnellement célèbre à Rome, Zabaglia, qui se chargea de l’enlever adroitement du Vatican, où elle était beaucoup mieux à sa place. Les autres tableaux qui ornent les chapelles sont également de provenance étrangère, et y ont été, comme la fresque du Dominiquin, transportés à diverses époques. C’est à peine s’ils invitent le regard, tant le génie du lieu, comme épris de solitude et de silence, repousse la garrulité colorée de la peinture. Lorsque les yeux, frappés de cette majesté religieuse, s’arrêtent sur quelqu’une de ces toiles, on éprouve la même désagréable sensation que si l’on était interrompu par quelque conte de vieille femme ou quelque enfantin discours populaire pendant qu’on écouterait avec recueillement le discours d’un métaphysicien profond.

Cette salle de bains, par un hasard singulier, s’est en effet trouvée apte à exprimer des sentimens de l’ordre métaphysique le plus abstrait. Sainte-Marie-des-Anges ne laisse soupçonner en rien un culte populaire aux gaies et dramatiques complications, aux cérémonies heureuses et passionnées. Le langage de cette architecture est froid aux sens, sans couleur pour l’imagination, émouvant pour la raison seule, c’est-à-dire pour la partie méditative de l’être humain. C’est essentiellement une église de monothéisme. Elle ne parle pas du Christ, et on pourrait dire qu’elle a conservé son caractère païen, si elle ne parlait de Jéhovah avec une incomparable majesté. L’esprit du Dieu un, à la fois personnel et abstrait, immatériel et visible, cause agissante et distincte des effets qu’elle produit, père de toutes choses et en dehors de toutes choses ; solitaire au sein des mondes qu’il peuple, immense comme l’infini et cependant circonscrit par son unité même, se meut vraiment sous cette voûte élevée et massive qui ne fuit pas sous le regard, entre ces huit piliers énormes dont il a fallu laisser cachée sous terre une partie. Force, simplicité, majesté, les trois caractères du Dieu un, se trouvent merveilleusement représentée par l’architecture de