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La finesse, l’ingéniosité, voilà peut-être la plus précieuse de nos facultés, car avec son secours il est peu de choses que nous ne puissions comprendre. Là où des facultés plus puissantes échoueraient, vaincues par leur solidité même, la finesse triomphe par son insaisissable subtilité. Il en est ainsi du Dominiquin ; il atteint à la grandeur à force d’esprit. Je n’en veux pas d’autre preuve que les quatre Evangélistes de la coupole de Saint-André-della-Valle. Il a saisi avec une pénétration des plus admirables l’affinité obscure qui rattache les natures morales des évangélistes aux emblèmes dont la tradition les fait accompagner : saint Matthieu à la gravité sentencieuse comme le ministre divin sous la dictée duquel il écrit ; saint Marc concis, rapide, aux bonds elliptiques et supprimant les intervalles, comme ceux du lion ; saint Luc à la narration lente et patiente comme la marche du bœuf ; saint Jean audacieux comme l’aigle et se jouant comme lui dans la région des éclairs et du tonnerre. Les quatre figures du Dominiquin sont d’accord avec ces emblèmes. Les deux plus belles sont celles de saint Matthieu et de saint Jean ; celle de saint Jean touche au sublime. Toutes les tendresses de la terre et tous les orages des nuées sont dans cette figure, aimable comme la jeunesse, effrayante comme les audaces de la pensée. Une âme d’une portée redoutable s’agite dans ce corps à la délicatesse féminine ; ces yeux lancent des désirs qui vont jusqu’au bout de l’univers avec la rapidité de la flèche. Douceur ineffable, aspirations infinies, ambition du cœur, fermentation des rêves, voilà ce qui se lit chez cette adorable figure, la représentation la plus accomplie et la plus profonde que la peinture nous ait laissée du disciple bien-aimé. C’est bien là ce fils de Zébédée, si complexe en apparence, si un en réalité, qui reposa comme la plus timide des jeunes filles sur le sein de Jésus, et qui un jour sollicita d’être assis à ses côtés auprès de son père et de participer à la gloire de son royaume. Que la terre se dissolve en poudre et que la Jérusalem céleste soit conquise ! les tempêtes de feu n’ont pas pouvoir d’effrayer une âme d’une telle tendresse, s’il ne faut que les traverser pour arriver au pays de ses rêves.

Parmi ses talens si divers, le Dominiquin en possède un des plus précieux et des plus rares : il est à peu près, après Raphaël et Michel-Ange, le seul peintre qui ait su représenter des allégories d’une manière vivante. Sous son pinceau, ces froides figures morales perdent leur caractère emblématique abstrait et revêtent tous les attributs de l’individualité et de la passion. Les six figures allégoriques de la tribune de Saint-André-della-Valle, chefs-d’œuvre de ce genre artificiel, intéressent comme les plus belles des femmes et émeuvent comme les plus pathétiques des héroïnes. C’est qu’en effet ces images