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Le Dominiquin me fournit une occasion assez singulière de montrer combien il nous est facile d’être injustes par légèreté, ou d’être tout à notre aise de mauvaise foi en nous couvrant des apparences de la vérité. Je suppose qu’il me prenne la fantaisie de dire : « Le Dominiquin n’a jamais su exprimer des personnages typiques ; voyez plutôt ses Sibylles, » je dirais une insigne sottise que ne songeraient cependant nullement à contredire la plupart de ceux qui ont vu les tableaux baptisés de ce nom. Il y a loin en effet des Sibylles du Dominiquin aux Sibylles de Michel-Ange et de Raphaël, et cette fois on peut dire sans crainte de se tromper que le peintre ne doit rien à sa mémoire. Voici en toute exactitude la vérité sur ces tableaux : du Dominiquin au Guerchin, à ces heures tardives d’une Italie fortement endommagée, ce fut une des modes de la peinture de représenter de jeunes personnes isolées, d’ordinaire rêveuses, souvent bizarres plus que jolies, quelquefois douloureuses, et de les intituler Sibylle de Cumes, Persique, etc. C’est à cette mode que le Dominiquin a obéi en peignant les jeunes femmes que nous voyons figurer sous le nom de Sibylles à la galerie du Capitale et à la galerie Borghèse. La Sibylle du Capitole, avec sa coiffure en turban et sa pose inclinée, est non une prophétesse, mais une musicienne, una virtuosa, comme cette signora Leonor, que le cardinal Mazarin avait fait venir d’Italie pour amuser Anne d’Autriche. La jeune fille mal accoutrée, ébouriffée comme un chat de gouttière, que nous voyons à la galerie Borghèse, ne prononce pas non plus d’oracles ; c’est une petite contadina à moitié sauvage, une petite fadette de village, et Raphaël et Michel-Ange n’ont pas à être rappelés en telle occasion.

Pour juger de l’âme charmante du Dominiquin, c’est surtout dans les scènes païennes qu’il faut le voir. Il porte une pudeur rougissante de jeune fille même dans les sujets qui autorisent toutes les voluptés du pinceau. Voyez par exemple le Bain de Diane dans la galerie Borghèse. Quel admirable prétexte pour le peintre d’imiter l’indiscrétion d’Actéon ! Un Titien et un Véronèse n’y eussent pas manqué : dans une autre école, plus près du Dominiquin, le Guide avec son penchant à une dangereuse mollesse aurait certainement succombé à l’attrait ; mais le peintre n’a nullement l’âme lascive d’Actéon, aussi cette immense toile avec son encombrement de corps nus est-elle chaste comme Diane elle-même. Comme pour ajouter à cette chasteté, le poète a choisi l’heure grise et froide de l’aube ; toutes ces nymphes sont transies par la double fraîcheur de la nuit et du bain ; la brise piquante des premières heures du jour martèle leurs beaux corps de plaques rouges, bleuit leurs membres, congèle l’incarnat de leurs joues. C’est le moment où elles viennent de