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découvrir le coupable Actéon, et la surprise indignée qu’elles en éprouvent les remplit d’une fureur qui s’exprime par des gestes d’une véhémence impérieuse et railleuse. Le peintre a donné à cette indignation le plus aimable des contrastes. Pendant que leurs sœurs aînées se démènent comme des ménades de la chasteté, deux petites nymphes, trop jeunes pour comprendre, trop réellement innocentes pour être choquées de l’indiscrétion d’Actéon, se jouent dans l’eau limpide du fleuve comme si rien ne se passait sur les bords. Voilà la vraie chasteté, semble avoir voulu nous dire le Dominiquin, c’est celle qui n’a souci du mal parce qu’elle ne le connaît pas. Toute la grâce pudique, toute la timidité de jeune vierge du Dominiquin est dans ce mignon épisode. Si frais et si coquet est ce coin du tableau qu’il m’a rappelé un des plus heureux passages du Tasse, celui où les deux chevaliers à la recherche de Renaud, rencontrant à l’improviste près du palais d’Armide deux jeunes nymphes qui se baignent, épient furtivement leurs jeux :

« Scherzando sen van per l’acqua chiara
Due donzelletta garrule e lascire,
Chi’or si spruzzano il volto, or fanno a gara
Chi prima a un segno destinato arrive :
Una intanto drizzossi, e le mammelle
A tutto ciò che più la vista alletti
Mostrò dal seno in suso, aperto al cielo :
E’l lago all’altre membra era un bel velo.
Rideva insieme, e insieme ella arrossia
Ed era nel rossor più bello il viso… »

Les deux nymphes du Bain de Diane sont la traduction exacte de ce passage du Tasse : rien n’y manque, ni l’enjouement des deux enfans et leur gaie turbulence, ni leur rougeur pudique associée à leurs rires, ni même l’attitude à la provocante candeur décrite par le poète. La ressemblance est tellement frappante qu’il y a tout lieu de penser que cette inspiration du Dominiquin est sortie directement de la lecture du Tasse.

Cette rencontre n’est ni fortuite ni accidentelle, et la ressemblance entre le Tasse et le Dominiquin est bien plus générale et bien plus étendue. Certes il y a loin du brillant et voluptueux cavalier napolitain au fils timide et gauche du savetier de Bologne, aussi loin que du narcisse ou du lis des jardins d’Italie à l’humble violette rustique ; il me semble cependant que si le cavalier avait pu vivre plus longtemps, ou si la destinée avait voulu qu’ils fussent exactement contemporains, il aurait aimé ce modeste artisan dont l’âme fine et exquise avait tant de points de contact avec la sienne. lia eurent à peu près même sort malheureux ; le beau lis fut brisé dans