Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 88.djvu/508

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

émotion contagieuse passait du gouvernement dans les chambres et dans le public. On s’était endormi en pleine paix, on se réveillait au seuil de la guerre, au milieu de toutes les passions déjà frémissantes. Qu’avait-il fallu pour déterminer un changement si brusque et si grave ? Justement une de ces « questions irritantes » que la veille encore on n’apercevait pas, un de ces événemens qui éclatent tout d’un coup, la candidature d’un prince prussien, d’un Hohenzollern au trône d’Espagne. Le fait est que cette négociation avait été hardiment et très secrètement conduite, si bien que notre diplomatie à Berlin et à Madrid n’y a vu absolument rien ; elle a été surprise comme la France elle-même, comme l’Europe. Encore un instant, et tout était fini. La couronne espagnole avait été offerte, elle avait été acceptée ; il ne manquait plus que le consentement des cortès, que le général Prim, en vrai héros diplomate, espérait enlever au pas de charge. On avait bien sans doute l’idée que la présence d’un prince prussien sur le trône d’Espagne allait être profondément désagréable à la France ; mais on ne s’arrêtait pas pour si peu. L’essentiel était d’aller vite, de devancer la mauvaise humeur qui pourrait se produire à Paris, après quoi il n’y aurait plus qu’à s’arranger avec un fait accompli. C’est alors que le gouvernement, éclairé à l’improviste, se précipitait en quelque sorte à la tribune pour mettre hautement et publiquement son veto à la combinaison qui touchait au succès, pour montrer la pointe de l’épée de la France, si l’on voulait aller plus loin. C’est alors aussi que cet incident, violemment dégagé de l’obscurité et amené au grand jour, s’est dévoilé avec ce caractère de gravité redoutable qui n’a fait que s’envenimer d’heure en heure, en prenant les proportions d’une lutte possible entre la France et la Prusse. On peut dire que pendant quelques jours la guerre a été dans Pair, près d’éclater comme la foudre. Est-on parvenu du moins à conjurer cette redoutable extrémité ? On l’a cru un moment, la paix a semblé retrouver des chances ; cette lueur paraît s’évanouir de nouveau. De toute façon, la question ne reste pas moins grave par les intérêts qu’elle a mis en jeu, par les passions qu’elle a soulevées, par les fermens nouveaux qu’elle jette en Europe. Elle s’est abattue sur nous comme ces typhons des mers du sud où les meilleurs navires sombrent assez souvent. Pour cette fois, le navire ne s’est pas perdu, mais il n’est point impossible que les pilotes ne sortent de l’ouragan quelque peu endommagés.

D’où vient cet incident ? Comment a-t-il pu arriver à ce degré d’intensité et de violence ? C’est déjà un fait surprenant à coup sûr que cette espèce d’aventure nouée et combinée dans le mystère, cette candidature ourdie comme un complot, et éclatant au moment voulu sous les pieds des gouvernemens intéressés. Cette candidature, elle est née plus ou moins spontanément, plus ou moins artifîcieusement, d’une sorte de rencontre entre les embarras du gouvernement actuel de l’Espagne, toujours