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lit séparé : aussi Mercier, dans son Nouveau Paris, s’écria-t-il qu’il n’apprenait pas « sans la plus douce émotion » qu’il y avait à l’Hôtel-Dieu 250 lits vides. Pour qui connaît Paris, on comprend vite que ce chiffre est singulièrement exagéré ; mais il constate du moins que l’entassement impitoyable d’autrefois avait pris fin, et qu’un grand progrès venait de s’accomplir. Du reste il est facile de reconnaître combien au siècle dernier la thérapeutique était peu avancée, et comme, en cas d’épidémie, on perdait rapidement la tête. Pour un peu, on serait retourné aux exorcismes, et le grand remède employé était encore les processions, les promenades de châsses, les cérémonies, qui. si elles n’ont rien à faire avec l’hygiène, ont du moins pour elles d’être absolument inoffensives. On le vit bien en 1720, pendant cette fameuse peste de Marseille qui donna à M. de Belzunce une immortalité dont les causes paraissent discutables. Le ravage fut effroyable et fort augmenté par des troupes de voleurs qui s’abattirent, comme des oiseaux de proie, sur la ville pleine de cadavres. On n’y allait pas de main morte en ce temps-là, et l’on employait, pour traiter les malades des moyens curatifs qui, pour être péremptoires, n’en étaient que plus abominables. A Aix, un homme atteint de la peste fut muré dans sa maison, et aux portes de la ville on tua sans autre forme de procès trois voyageurs qui arrivaient de Marseille. M. de Belzunce, « qui avait fait merveille jusque-là, » se sentant moins fort que la contagion, abandonna la partie tout à coup, accumula des vivres dans sa maison, et s’y enferma après en avoir fait maçonner les portes. Le bon peuple de Marseille se fâcha contre son évêque, il entoura le palais épiscopal de corps morts, et en jeta même par-dessus les murs[1] ; mais son espérance fut trompée, et le prélat que Millevoye devait chanter put échapper aux atteintes de l’épidémie. A Paris, nous avons traversé deux ou trois crises redoutables, notre population n’a pas été beaucoup plus sage que celle de Marseille, elle a, je le crois bien, jeté quelques individus à la rivière ; mais elle a eu pitié des malades, et ne les a point murés dans leurs maisons.

Dans ce siècle-ci, notre administration hospitalière a été mise deux fois à de rudes épreuves, et deux fois, à force d’énergie et de vaillance, elle a triomphé des difficultés excessives qu’elle avait à combattre. Au moment où, après une lutte qui avait duré vingt-deux ans, la France, surmenée, harassée, semble s’écrouler sur elle-même, en 1814, nos hôpitaux des bords du Rhin, attaqués par le typhus, évacuèrent leurs malades devant l’ennemi, qui avançait à grandes marches ; précédant nos armées refoulées, coupées,

  1. Matthieu Marais, Mémoires, t. Ier, p. 414-454.