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infirmiers enlèvent un homme de son lit pour le porter à la salle des opérations, qui parfois est en forme d’amphithéâtre, comme à Necker et à Lariboisière, parfois, comme à Saint-Antoine, une simple chambre dont les portes sont fortement rembourrées et capitonnées pour empêcher les cris de douleur d’être entendus. Avec précaution, on étend le patient sur le sinistre matelas recouvert d’une toile cirée noire sur laquelle un drap est placé. Les instrumens préparés sur un plateau portatif que l’élève peut tenir à la disposition du maître sont, selon le degré d’humanité du chef de service, visibles ou recouverts d’un linge blanc ; les compresses, la charpie, les bandes, sont disposées d’avance sur une tablette. Autrefois il y avait là un instant terrible, c’était celui qui précédait immédiatement l’opération ; bien des cœurs vaillans faiblissaient, et j’ai vu plus d’un pauvre homme à qui on allait enlever un membre se mettre à pleurer en disant : « Qu’est-ce que je vais devenir ? » Le chirurgien, la manchette retroussée, lui tendait la main : « Allons, mon brave, du courage ! ça ne sera pas long ! » On jetait une serviette sur la figure du misérable afin qu’il ne pût rien voir ; les élèves le saisissaient et le maintenaient avec force pour neutraliser les mouvemens spasmodiques, et l’opération commençait. Aujourd’hui cela est moins dramatique, j’allais presque dire moins intéressant. Les procédés anesthésiques ne sont plus repoussés par personne : l’éther, puis le chloroforme, enfin le chloral, ont apporté pour cette minute de torture une stupéfaction, une sorte d’inconscience mentale qui donne une insensibilité relative dont on profite pour opérer en toute sécurité, et pour enlever au patient la connaissance immédiate de sa douleur. Dans cette voie, il y a encore d’immenses découvertes à faire, et je ne doute pas qu’avant peu d’années on n’arrive à localiser l’anesthésie, au lieu de la généraliser comme on le fait actuellement.

C’est pendant la visite ou immédiatement après, suivant la gravité des cas, que les pansemens sont faits, soit par le chirurgien lui-même, soit par les élèves, soit par l’infirmier. Ils sont fréquens, nombreux, renouvelés dans la journée, lorsqu’il y a lieu, et ont exigé en 1869 l’emploi de 4,389 kil. 50 grammes de charpie, et la quantité énorme de 103,179 kil. de farine de graine de lin. En dehors des heures consacrées à la visite, les malades ne sont point abandonnés à eux-mêmes ; les internes de service se tiennent jour et nuit dans une chambre particulière qu’on nomme la salle de garde, et où l’on est certain de les rencontrer pour porter secours a un malade ou pour recevoir les individus amenés d’urgence. Ils appartiennent à l’hôpital, y demeurent, et, tout en perfectionnant leurs études, apportent un peu de jeunesse et de gaîté à ces milieux lamentables. Ils vivent en bonne intelligence avec les religieuses,