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dépoli et muni de deux lits de camp qui supportent les bières de léger sapin au-dessus desquelles un grand crucifix semble veiller. C’est d’une apparence lugubre et réellement dramatique. Dans le dur langage des garçons d’amphithéâtre, un cadavre disséqué et non réclamé s’appelle une falourde.

Les parens et les amis arrivent, le corps, chargé sur le corbillard, est conduit à la chapelle de l’hôpital, et un prêtre récite les prières consacrées. Ces chapelles n’ont rien qui puisse fixer l’attention ; ce sont des espèces de halles badigeonnées, sans style, sans beauté, et où parfois, comme à Necker, on est fort surpris de voir la statue d’Aaron et celle de Melchisedech. Une seule fait exception, c’est celle de l’Hôtel-Dieu, qui est l’ancienne église, qualifiée jadis de basilique, du prieuré de Saint-Julien-le-Pauvre. Dans l’origine, on y recevait les pèlerins et les voyageurs, Grégoire de Tours y logeait lorsqu’il venait à Paris[1]. On ignore la date de la fondation ; cette chapelle fut détruite sans doute et réédifiée vers le XIIe siècle, car certains détails d’architecture, entre autres les arcs doubleaux composés d’un faisceau de tores séparés par des gorges, indiquent cette époque. Aujourd’hui c’est une ruine sombre, triste, dominée par les hideuses masures de la rue qui porte son nom ; la révolution en a détruit le portail, dont les moignons brisés apparaissent encore et semblent réclamer une restauration. L’intérieur est froid, ramassé ; les colonnes trapues, les pierres solides, disposées en petit appareil, donnent à tout l’édifice une apparence sérieuse qui n’est pas sans grandeur. Il est bien à désirer, quand la démolition du vieil Hôtel-Dieu permettra enfin d’assainir cet horrible quartier, que l’on conserve cette antique chapelle, où la tradition affirme que le Dante est venu prier.

L’assistance publique met au service de l’énorme population qui vient demander des soins à nos hôpitaux un personnel médical d’élite choisi au concours ; 84 médecins et chirurgiens, 115 internes, 382 élèves externes, sont chaque jour répandus dans les salles hospitalières, et s’empressent autour des malades. Les visites, qui réglementairement sont quotidiennes, devraient s’élever au chiffre de 30,740 ; mais en 1869 les chefs de service en ont manqué 6,169, car ils se sont absentés 3,257 fois. A diviser le nombre des lits par celui des médecins et des chirurgiens, on voit que chacun de ceux-ci en a en moyenne 91 à visiter tous les matins ; les plus favorisés n’en ont que 42, les plus occupés en ont 150, réservés aux maladies chroniques. Cela est excessif, dépasse souvent les forces d’un homme, et ne lui laisse pas le temps matériel nécessaire pour

  1. In diebus, Parisios adveneram et ad basilicam beati Juliani martyris metam habebam. Lib. IX, cap. 6.