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LAMARTINE

Il y a des destinées merveilleuses, même dans ce qu’elles ont d’incomplet, qui semblent faites pour briller, éblouir et s’éteindre en laissant une impression de grandeur mêlée de je ne sais quelle déception cruelle. Poésie vivante d’une génération, éclat et enchantement d’une époque, elles se jouent à travers les événemens et les métamorphoses comme des puissances de l’imagination qui daignent condescendre aux réalités humaines. Elles se déroulent ou, pour mieux dire, elles s’épanchent, libres, glorieuses, enivrées d’elles-mêmes, enivrant ceux qu’elles touchent au passage. La fortune est complaisante et perfide pour ces destinées qui ont reçu tous les dons, hormis le don de se fixer, de se gouverner et d’éviter les écueils qui se dérobent sous un voile d’éphémères prospérités. Parce qu’elles flottent toujours au-dessus du courant des choses, elles ont l’air de le dominer ; elles ne font que le suivre, aussi peu maîtresses du mouvement qui les entraîne que d’elles-mêmes, et quelquefois le flot qui les a portées aux plus hauts sommets, ce flot, en se retirant, les laisse seules, mornes, désolées, comme des navires échoués que la mer montante ne viendra plus reprendre.

C’est la destinée de celui qui a été peut-être le plus brillant de nos contemporains, et qui a vécu assez pour être le témoin de son propre désastre, pour voir tout ce qui avait illuminé sa jeunesse et sa maturité se perdre dans les réalités assombries de ses dernières années. Ainsi a passé Lamartine, heureux, prodigue, adoré, comblé des faveurs du monde, et réduit tout à coup sur ses vieux jours à se débattre, découronné et vaincu, dans un déclin morose. Certes, s’il y a eu dans ce siècle une existence privilégiée, qui dut sembler à l’abri des inclémences du sort, c’est celle-là. Qu’a-t-il manqué à Lamartine ? La fortune, il l’a trouvée dans son berceau ou autour de lui ; la protection vivifiante et inspiratrice de la famille, il l’a