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sur les grèves sonores des mers d’Italie, » allant le matin contempler Rome du haut du Monte-Pincio ou visitant par les doux soleils d’automne Frascati, Albano, le temple de la sibylle, « tout retentissant et tout ruisselant de la fumée des cascades de Tivoli, » promenant ses songes d’adolescent à travers les brises embaumées d’Ischia et de Sorrente : c’était pour lui la révélation d’une nature toute nouvelle. Entré cette nature aux couleurs resplendissantes, quoique d’une harmonie un peu molle, pleine d’intimes fascinations, si bien faite pour inspirer, et cette imagination toute fraîche, encore à demi efféminée, si heureusement douée pour s’ouvrir à toutes les impressions, il y avait un lien, une parenté mystérieuse.

Il y a de ces prédestinations conduisant le génie comme par la main en face des beautés extérieures qui doivent le féconder. Dix fois depuis Lamartine a franchi les Alpes en suivant presque les mêmes chemins, il a passé son temps le plus heureux à Naples, à Florence, sur les bords de la mer de Pise ou à Rome ; il y a trouvé toujours une seconde patrie, la patrie de ses premières sensations et de ses premiers rêves. Quand il revint d’Italie après une année, il avait doublement vécu, puisqu’il avait aimé comme on aime à vingt ans, et qu’il avait rempli ses yeux d’ineffaçables images. Il rentrait en France, rappelé par la tendresse alarmée de sa mère, arraché par un des plus chers compagnons de sa jeunesse, Aymon de Virieu, aux enivrantes séductions de Naples ; il rentrait, non plus comme il était parti, mais le cœur plein d’agitations inconnues et l’esprit agrandi, roulant dans son imagination, comme il le dit, « des mondes de poésie, » sentant s’élever du fond de son âme une sorte de chant intérieur qu’il n’osait ou ne savait exprimer encore. Il croyait naïvement s’essayer à la vraie poésie en ébauchant toute sorte de tragédies, de poèmes épiques et d’élégies sur le mode du chevalier de Bertin ou de Parny. Il ne se doutait pas que déjà il portait, en lui-même, dans ces palpitations, ces frémissemens et ces rêves, qui l’agitaient, le germe d’une poésie bien autrement originale, bien autrement vivante. Que fallait-il pour faire éclore ce germe ? Un brûlant rayon de plus, une de ces passions qui hâtent la maturité du talent ou du génie, qui font éclater dans un déchirement l’accent pathétique de la vérité humaine. L’auteur des Méditations n’en était pas encore là, il en était tout au plus à ces mélancolies, indéfinissables qui sont comme un pressentiment dans les âmes inassouvies.

Le mal de Lamartine comme des hommes de son âge qui ne se laissaient pas emporter dans les tourbillons dévorans de l’empire, c’était le mal d’une jeunesse inoccupée et inquiète. Il avait certainement toute ce qu’il faut pour être heureux ; il ne sentait pas moins ce trouble d’un jeune homme facilement dégoûté des conditions