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l’abolition de toute faveur accordée à une classe ou à un intérêt spécial au détriment du travail et du bien-être populaires.

Un principe si fécond impliquait des conséquences auxquelles ceux qui le professaient ne pouvaient réussir bien longtemps à se soustraire. « Beaucoup de partisans déclarés de la liberté du commerce, avait dit Robert Peel dans le discours même où il annonçait la révision des tarifs, penseront que je ne suis pas allé assez loin sur le principe général de la liberté du commerce ; il n’y a plus maintenant, je crois, grande différence d’opinion, et tout le monde est d’accord qu’il faut acheter au plus bas et vendre au plus haut prix possible… » Et comme à ces paroles une approbation bruyante éclatait dans une partie de la chambre, Robert Peel avait cru devoir répudier ces applaudissemens parce qu’il n’était pas disposé à réaliser l’espérance qui les inspirait ; mais la situation des classes laborieuses, la fermentation qui se manifestait sur tous les points du pays par les projets de la jeune Angleterre, par les rêveries des socialistes, par les essais de R. Owen, par le programme révolutionnaire des chartistes, les discussions de la chambre et ses propres réflexions devaient triompher promptement de l’indécision de Robert Peel. À la fin de 1845 il annonçait à ses collègues la résolution d’en finir avec les lois sur les céréales, et quelque temps après il remettait sa démission à la reine. À ce moment, M. Gladstone ne faisait plus partie du cabinet ; par suite d’un honorable scrupule, il en était sorti à son grand regret, comme à celui de ses collègues et à l’étonnement de tout le monde, pendant que l’œuvre de la révision dont il était le principal auteur s’accomplissait lentement. Lorsque après l’inutile tentative de lord John Russell pour constituer un ministère Robert Peel fut appelé, M. Gladstone rentra dans le cabinet comme secrétaire des colonies. Malgré le silence qu’il fut forcé, par une indisposition prolongée, de garder pendant la discussion relative aux lois sur les céréales, sa complète adhésion à la politique de Robert Peel était connue. Cette complicité dans ce qu’un grand nombre de tories appelèrent la trahison de l’ancien chef du parti lui coûta les bonnes grâces du grand seigneur auquel il était redevable de son entrée au parlement. Il ne fut pas réélu à Newark, mais il eut de quoi se consoler par l’honneur tout autrement envié qu’il obtint en 1847 de représenter à la chambre des communes l’université d’Oxford.

Il est rare, dans les questions d’intérêt, qu’un parti se résigne, même après une défaite irréparable, à désarmer sur-le-champ. Pendant combien d’années et sous combien de formes les partisans de la protection ont-ils essayé de recommencer la lutte, se livrant sans relâche aux plaintes les plus amères, multipliant les protestations, suscitant à plaisir les difficultés ! Ce n’est guère qu’en 1852,