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diplomates, des philosophes, puisqu’elle était liée avec M. de Bonald, à qui Lamartine adressait des vers pour obtenir un sourire de son amie. Une chose vraie encore, c’est ce paysage du lac, si poétique, si émouvant, si précis dans sa première forme, et que Raphaël n’a fait qu’élargir et noyer dans la confusion éclatante de ses descriptions. Une circonstance plus douloureusement vraie que tout le reste enfin, c’est que cette passion profonde, ardente et délicate était bientôt brisée tout à coup par la mort de la personne, qui emportait elle-même dans son dernier souffle l’enivrement de l’amour qu’elle inspirait. Le rêve avait duré treize mois, enflammé, haletant ; Lamartine se réveilla le cœur déchiré, « comme une âme aveugle qui a perdu la lumière du ciel et qui ne se soucie plus de celle de la terre. « Il partit avec sa blessure, qu’il croyait sincèrement inguérissable ; il alla en Suisse, il alla s’enfermer à Ursy avec son oncle l’abbé de Lamartine, qui était indulgent pour les peines de jeunesse et qui ne croyait pas à l’éternité des douleurs de ce genre ; il revint auprès de sa mère, qui, sans vouloir sonder la plaie jusqu’au fond, s’ingéniait à l’adoucir d’une main légère et tendre. L’élasticité d’une riche nature le sauva, et de cette douleur dont il croyait mourir, qui devait tout au moins être éternelle, il ne restait plus bientôt qu’un attendrissement religieux, la mélancolie des convalescences du cœur.

C’est le grand et sérieux événement de la vie de Lamartine à cette époque, c’est ce qui achevait en lui le poète. Jusque-là, il avait cherché, il n’avait pas trouvé ; il se jouait dans les vers comme dans un artifice séduisant de l’esprit ; désormais il avait senti, il avait aimé ; c’est en lui-même qu’il portait la source d’une nouvelle et pathétique inspiration. « Ma voix était changée, a-t-il écrit un jour ; toutes mes fibres attendries de larmes pleuraient ou priaient au lieu de chanter. Je n’imitais plus personne, je m’exprimais moi-même… Je ne pensais à personne en écrivant çà et là des vers, si ce n’est à une ombre et à Dieu. Ces vers étaient un gémissement ou un cri de l’âme : je n’étais pas devenu plus poète, j’étais devenu plus sensible, plus sérieux et plus vrai… » Ce que je veux montrer, c’est cette formation du plus facile et du plus expansif descentes contemporains, c’est ce travail courant et mystérieux où tout se réunit, éducation, influences bienfaisantes, voyages, accidens de cœur, pour colorer, émouvoir et féconder une imagination naturellement puissante, et c’est ainsi que Lamartine arrivait à cette heure de 1820 où les Méditations éclataient comme l’expression souveraine et imprévue d’une inspiration nouvelle, où se dégageait subitement une destinée dont nul regard n’aurait pu mesurer l’essor.

Heure légendaire de cette fortune naissante ! À ce moment, Lamartine touchait à la trentième année, il avait tous les dons