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l’analyse des réalités de la vie avant d’arriver à la mélopée intime des Consolations. Alfred de Musset allait paraître, commençant par ces pétulances de verve qui devaient finir dans les douloureux déchiremens de la passion. Sous toutes les formes, une poésie nouvelle naissait à travers la mêlée des écoles et des talens. Lamartine, lui, de loin, dans ce qu’il appelait « son doux exil des bords de l’Arno, » était comme la gloire neutre et pure de ce mouvement, s’élevant au-dessus des bruyantes luttes départis, auxquelles il restait étranger, et ici il est bien facile de voir déjà le trait caractéristique de cette nature, qui a toujours été beaucoup moins faite pour combattre que pour régner.

Ce n’était pas un poète de plus dans la sonore et tumultueuse armée romantique, c’était le poète par excellence, l’inspiration souveraine et intarissable, solitaire et indépendante ; Certainement Lamartine n’appartenait à aucune école, à l’école libérale moins qu’à toute autre ; il était lui-même royaliste de cœur, novateur littéraire sans préméditation et sans calcul, par la grâce d’un génie privilégié. Pendant que se livraient à Paris les batailles romantiques, il était, lui, dans la période de libre et heureuse expansion, allant de ses premiers vers aux secondes Méditations, au Dernier chant du pèlerinage d’Harold, aux Harmonies poétiques et religieuses. Ces Harmonies, qui paraissaient à la veille même de la révolution de 1830, au moment où Lamartine allait être nommé ministre à Athènes par M. de Polignac, et où l’Académie française, par la voix de Cuvier, le recevait comme un hôte bienvenu dont on avait entendu de loin « les chants doux et mélodieux, » ces Harmonies n’avaient pas peut-être le frémissement intime, la pureté, la grâce sobre des premières Méditations ; elles avaient plus d’abondance et d’éclat, elles éblouissaient par l’opulence des couleurs, et, suivant une expression de Sainte-Beuve, par ces courbures de cygne décrivant ses cercles sacrés au plus haut des airs, elles révélaient aussi une âme déjà émue des problèmes du siècle. Joignez-y Jocelyn, qui ne vint que quelques années plus tard, et qui n’est encore que ce courant d’inspiration élargi : en définitive, la poésie de Lamartine est là tout entière, chant des mélancolies, des souvenirs du passé et des aspirations du cœur, poème de l’infini dans les cieux et des splendeurs de la terre, méditation en strophes toujours nouvelles sur tout ce qui fait palpiter l’âme humaine.

Elle a bercé une génération et elle garde une éternelle jeunesse, cette poésie qui, en réalité, n’est que l’expression imagée d’une merveilleuse nature morale, où se retrouve tout ce qui a été en quelque sorte l’essence de ce génie, influences maternelles, culte de la terre natale, religion de l’enfance, amour, instinct idéal, illusions,