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sentiment des grandeurs alpestres et des paysages d’Italie. Assurément dans cette poésie nouvelle qui naissait après les Méditations, il y a eu plus d’une note émouvante, plus d’un accent qui retentit encore. Chaque talent a eu son originalité et ses dons particuliers. Victor Hugo ressemble à un puissant ouvrier forgeant ses strophes, pliant et tordant la langue, faisant jaillir les images comme des éblouissemens d’étincelles autour de lui ; il arrive au génie par la volonté et souvent à l’effet par l’étonnement qu’il inspire, par l’effort, qui n’est même pas toujours invisible dans ses pages les plus gracieuses. Alfred de Musset, le plus français peut-être des poètes modernes, a l’inspiration vive et prompte, l’impétuosité dans la grâce, le cri perçant dans la passion. C’est une poésie toute nerveuse qui saisit, remue et ne se prolonge pas. Alfred de Musset est peut-être le seul qui ne dise plus rien quand il n’a plus rien à dire. Alfred de Vigny a toujours l’air de sortir d’un sanctuaire ou de cette tour d’ivoire qu’on lui donnait un jour pour demeure. L’inspiration de Lamartine est comme sa nature ; elle a la fraîcheur de l’extase, la facilité, l’abondance, la spontanéité continue. On dirait que l’auteur du Lac n’a qu’à ouvrir son âme et son imagination pour que la poésie coule de source et s’épanche en inépuisables torrens d’harmonie. Qu’il soit à Milly, la maison de son enfance, ou à Saint-Point, l’asile de sa maturité, qu’il soit dans un bois de pins, sur un promontoire du golfe de Gênes, à Vallombreuse, sur ces sommets de l’Apennin où viennent se confondre les souffles des deux mers, de la Méditerranée et de l’Adriatique, le chant naît sur ses lèvres et s’élance sans effort. Hymnes de la nuit et du matin, prière de L’enfant à son réveil, ivresse de la beauté et de l’amour, cantiques de bonheur ou désespoirs s’exhalant dans le Crucifix, dans les Novissima verba, tout se mêle et se succède en s’idéalisant. Ce n’est point par l’originalité ou par l’étonnante grandeur des sentimens et des pensées que brille Lamartine ; il exprime le plus souvent les croyances et les idées de tout le monde, ce qu’il y a de plus simple dans l’âme humaine, le christianisme du foyer, le culte de la maison de famille, la pensée des morts, l’élan vers l’infini ou l’amour terrestre. Il transforme en poésie ce que les enfans et les femmes sentent comme les hommes, et c’est pour cela qu’il a parlé à tous les cœurs, c’est ce qui lui a fait cette enivrante popularité des premières années de son avènement. N’y a-t-il point parfois quelque monotonie dans cette intarissable effusion, dans cette symphonie qui recommence sans cesse ? Le poète ne se complaît-il pas aussi un peu trop dans la contemplation de lui-même ? N’importe, le chant se prolonge en ondes infinies, et malgré soi on se laisse aller à ce caressant murmure, à ce courant de sensibilité et d’harmonie. C’est le