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dernier mot du lyrisme intime. et, pathétique s’inspirant de Dieu, de l’âme et de la nature.

Qui croirait cependant, si on ne le savait, qu’au moment où Lamartine arrivait ainsi au sommet de l’inspiration lyrique et de la popularité, il se considérait lui-même, du haut de sa grandeur de diplomate, comme un amateur, un curieux en littérature, qu’il ne voyait dans la poésie, par laquelle il était tout, « qu’un accident, une aventure heureuse, une bonne fortune de sa vie, » qu’il se croyait destiné à d’autres travaux, « qu’il aspirait à tout autre chose ? » C’était là surtout ce qui l’occupait à la veille de la révolution de 1830. Cet enfant gâté de toutes les admirations se lassait d’être toujours appelé un grand poète, et ici commence un autre homme, ou, pour parler plus vrai, c’est bien toujours le même homme sous une autre forme ; c’est le même homme avec ses illuminations, ses mobilités, ses faiblesses, ses instincts transportés sur un autre théâtre où ce qui fait le poète n’est pas précisément ce qui fait le politique.


II

Qu’eût fait Lamartine, à quel avenir était-il destiné dans cette « haute politique, » qu’il a complaisamment appelée sa « véritable et constante passion, » si la monarchie traditionnelle eût continué à vivre ? Par quelle évolution d’idées, de sentimens et de conduite est-il passé de la position et des opinions qu’il avait en 1830 au rôle de chef improvisé et éphémère de la république de 1848 ? L’a-t-il jamais bien su lui-même ? A-t-il jamais vu clair dans ce mystère de sa propre destinée morale ?

Au moment où la restauration, ce gouvernement de sa jeunesse, s’écroulait sur la tête d’un vieux roi, naïf provocateur de catastrophes, Lamartine avait quarante ans. Il aimait ces Bourbons, qu’il se représentait toujours le testament de Louis XVI dans une main et la charte dans l’autre main ; il n’avait pas même une invincible répugnance pour M. de Polignac, qu’il défendait volontiers de toute pensée de coup d’état. Sans doute, par une intuition des grands mouvemens publics, il avait le pressentiment des dangers que courait la restauration, et il ne restait pas indifférent à la puissance croissante du parti libéral ; il a raconté un dîner qu’il avait fait vers cette époque avec M. Thiers au Palais-Royal, et où il avait vu dans le regard du jeune historien de la révolution française, du brillant polémiste du National, la flamme qui allait incendier la monarchie. Au fond, il ne croyait pas à un désastre si prochain. Si la royauté des Bourbons avait vécu, Lamartine l’eût servie sans doute dans quelque grand poste diplomatique : il serait bientôt revenu, en passant par Athènes, à Vienne ou à Rome.