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velle, et que le livre dont nous avons à rendre compte tout particulièrement, au lieu d’être un incident qui tranche avec le mouvement général des esprits, un phénomène qui éclate tout à coup dans un contraste absolu avec tout ce qui l’entoure, est une œuvre de cet esprit qui travaille la pensée philosophique de notre temps, quels qu’en soient d’ailleurs les mérites personnels.


I.

Dans une précédente étude, nous avons montré comment, sous l’énergique impulsion, on pourrait dire sous l’impérieuse direction de Victor Cousin, la philosophie de la première moitié de ce siècle en France s’est vouée presque exclusivement aux œuvres historiques. Il faut ajouter, pour la complète explication du phénomène, que, si l’esprit contemporain parut oublier la science pour l’érudition, c’est que la philosophie des siècles précédens avait vécu dans une superbe ignorance du passé. Le mouvement dont Cousin fut l’ardent et infatigable promoteur devait se produire en tout cas et durer jusqu’à l’entière satisfaction d’une curiosité d’autant plus vive qu’elle avait plus de merveilles à contempler dans ce monde si peu connu des systèmes et des écoles philosophiques. L’engouement pour ces sortes de révélations fut tel tout d’abord qu’on crut la philosophie assez riche de son passé pour pouvoir y renfermer son présent et son avenir, et que l’idée vint non-seulement à Cousin, mais à presque tous les chefs d’école de ce temps, de traiter toute recherche spéculative par les procédés de la méthode éclectique. Ce ne fut que l’illusion d’un moment. Victor Cousin fut le premier à s’apercevoir que l’éclectisme ne pouvait convenir qu’à cette classe d’esprits subtils et curieux qui ne cherchent dans la philosophie qu’une matière d’érudition et de critique. Il avait trop le goût de la discipline et la passion du gouvernement en toutes choses pour ne pas éprouver le besoin d’une doctrine à laquelle il pût rallier au plus tôt les intelligences et surtout les âmes troublées un moment par cette magnifique, mais étrange et confuse revue des idées qu’il avait fait d’abord passer sous les yeux. Pour la mission d’enseignement et en quelque sorte de prédication que le maître et son école assignaient à la philosophie de leur temps, cette doctrine ne pouvait être autre que le spiritualisme. Le mal fut qu’on improvisa ce spiritualisme en le formant d’élémens empruntés à certaines écoles anciennes et modernes connues sous ce nom, sauf à recouvrir le tout d’une apparence d’analyse psychologique. De ce travail trop hâté sortit un éclectisme vague, incohérent, superficiel, aussi incertain dans ses méthodes et ses théories qu’il était intolérant