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L’œuvre accomplie par saint Etienne a été présentée par l’esprit légendaire comme la continuation de la mission d’un personnage célèbre, Martin, né dans le voisinage du Mont-Pannonien (316), et qu’on fait revenir en Hongrie pour y propager l’évangile. Charlemagne lui consacra une église sur la montagne même, Gyéza Ier forma le projet de bâtir un couvent dans ce beau lieu, idée qui fut plus tard réalisée par saint Etienne. Le souvenir du premier roi chrétien se confond donc, dans ce sanctuaire national, avec celui du saint qu’on aime à regarder comme le premier apôtre, ainsi qu’à Reims le nom de Clovis est inséparable du nom de Rémi. L’ordre fameux des bénédictins, dont l’influence se été différente de celle qu’ont exercée les ordres nés sous l’inspiration du catholicisme espagnol (dominicains et jésuites), fit du Mont-Pannonien le centre de son action parmi les Magyars. Anastase Astricus, leur chef, qui joue un rôle dans l’histoire de la sainte couronne, fut un des principaux instrumens qui servirent à saint Etienne à transformer les mœurs de son peuple. Cette transformation ne s’arrêta pas aux coutumes ! Les vieilles traditions, soigneusement conservées par la poésie populaire, ne purent échapper à la puissance de la foi. nouvelle, et aux XIe, XIIe et XIIIe siècles s’accomplit dans les écoles ecclésiastiques le mouvement qui devait christianiser ces anciennes traditions, dont M. François Toldy a montré l’identité avec la poésie populaire des premiers âges. L’école de saint Martin a dû être le type des autres. Saint Etienne, qui avait fait construire auprès du couvent une église et un palais, objets de ses fréquentes visites, encouragea sans doute les travaux des moines qui « fatiguaient » pour lui le ciel de leurs prières. Le siège de saint Etienne, plus authentique peut-être que le siège en marbre d’Attila qu’on montre à Torcello, une des îles de la lagune vénitienne, a, si l’on en croit les successeurs d’Astricus, le don de guérir les maux de reins. Les paysans qui prennent place sur cette pierre sculptée sont sans doute plus crédules encore, et, comme le « miracle, dit Gœthe, est enfant de la foi, » parmi la foule qui a recours à ce moyen il n’est pas impossible que quelques-uns aient quitté la chapelle de saint Etienne guéris ou consolés.

Le sentiment sur lequel repose cette vénération est au fond aussi patriotique que religieux. La dynastie que le fils de Sarolt a su associer aux destinées de l’Europe, qui a, dans ce monde prodigieusement mobile des états danubiens, duré quatre cents ans et donné à la Hongrie vingt-trois souverains, compte certainement parmi les plus glorieuses. Les intrépides Arpádiens ont transformé en boulevard de la société européenne une nation qui en a été longtemps la terreur, et qui semblait, comme tant d’autres appartenant à la même origine, devoir végéter dans une éternelle enfance ou passer pareille à un torrent dévastateur. Loin d’avoir accablé les