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propriété réelle. Ce droit avait, selon lui, l’avantage de constituer en faveur de l’intelligence et du travail une exemption dont personne ne pourrait s’offenser, car elle est réglée par la nature elle-même. « Telles sont, dit-il en finissant, les propositions du gouvernement. Vous pouvez les accepter ou les rejeter ; mais vous reconnaîtrez, j’en ai la confiance, que nous n’avons pas cherché à éluder les difficultés, à nous les dissimuler à nous-mêmes, à les atténuer à vos yeux, que nous n’avons pas recouru, pour en sortir, à des expédiens misérables, que nos plans, si vous les adoptez, aideront peut-être à clore des débats qui ont trop longtemps duré, à hâter une solution dont l’ajournement peut avoir à la longue ses inconvéniens et même un jour ses périls, à effacer toute démarcation odieuse entre les classes, qu’enfin nous nous sommes efforcés, par les plans que nous vous soumettons, de laisser à nos successeurs une route moins ardue plutôt qu’un surcroît d’embarras. »

Après s’être acquitté de sa tâche, M. Gladstone se donnait la satisfaction de rêver un peu sur l’avenir. Quand il s’agit des mesures à prendre immédiatement, on reconnaît en lui un esprit amoureux d’exactitude et de lumière, on voit à travers ses calculs comme à travers un cristal ; s’agit-il simplement de conjecturer, on y voit comme à travers un prisme, il ne montre plus que le côté brillant des choses. On accuse M. Gladstone d’avoir l’imagination froide comme orateur et comme écrivain, on ne fera pas le même reproche au financier : l’arithmétique conjecturale lui cause une sorte d’ivresse et le jette dans des illusions qu’il a dû confesser plus d’une fois. Il montrait donc les revenus croissant d’une manière continue, tandis que les dépenses s’arrêtaient, si même elles ne commençaient à diminuer ; on pouvait dès lors songer à de larges réductions de droits,

La chose allait à bien par son soin diligent,


et la richesse générale augmentait en proportion. Au moment où il se livrait à ces riantes prévisions, il ne pouvait pas savoir que son prochain budget serait un budget de guerre, qu’après la guerre de Crimée viendrait la révolte de l’Inde, après celle-ci la guerre avec la Chine ; il ne se doutait pas que la fièvre des armemens gagnerait toute l’Europe, et qu’il serait appelé en 1860 à proclamer lui-même, en dépit de ses promesses, la nécessité de maintenir l’income-tax.

Au début de la guerre avec la Russie, faisant encore partie du cabinet, il s’était prononcé résolument contre le système des emprunts. « S’il existe en ce pays un homme plus intéressé que personne, sauf peut-être quelque capitaliste, à recommander la ressource de l’emprunt, c’est à coup sûr celui qui a l’honneur de remplir la place de chancelier de l’échiquier. Cette charge est de