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« Quoique je mène ainsi une vie uniforme, — je ne l’échangerais pas pour celle du prêtre le plus beau, le plus fort. — Le seigneur, qui ne le croirait pas, je le fais saluer ; — lui plaît-il de lutter sur le gazon avec moi corps à corps ?

« Et si d’autres entrent au service pour des gages plus grands, — dans Bábolna ou à Mezöhegyes, — nous pouvons vivre sur la puszta de Révbél, au service d’Erdôs János.

« Parce que Dieu seulement, à celui qu’il aime, donne — un aussi bon maître, un aussi bon pain. — Dans ma maison, on entend comme dernier mot : — Eh ! comme un pâtre de Révbél est heureux !

« Mon cheval a la réputation de valoir cent thalers ; — si je le monte, il lance les mottes de terre avec son sabot ; — il est comme moi de véritable sang magyar, — sur son dos je puis dépasser même un lièvre.

« La fille de l’hôtesse est ma fiancée, — elle est plus précieuse qu’une montagne d’or et d’argent ; — quand au vent ma gatya vole avec ma chemise, — elle me berce dans le cœur de sa douce poitrine.

« Elle m’embrasse plus volontiers qu’un cavalier de Pesth, — il lui montre inutilement beaucoup de blancs thalers. — Voilà pourquoi je conserve une pensée fidèle à ma Fanny, — et bientôt j’en ferai une très célèbre femme de gulyás. »


Le gardien des moutons, juhász, a des mœurs plus pacifiques.

L’élève des moutons, en partie de race perfectionnée, possède en Hongrie une importance toute particulière, puisqu’on y trouve des troupeaux de quinze à vingt mille têtes. Les hommes qui les surveillent joignent aux habitudes qu’ont partout les gens de leur profession des goûts qui caractérisent leur pays. « La profession de berger, disait le comte Français de Nantes, est la plus ancienne et la plus honorable qui soit au monde. » J’ignore si les bergers magyars en ont une aussi grande idée, mais il est certain qu’ils ont conservé une partie des coutumes des premiers pasteurs. Sans graver sur un rocher « de leurs mains pastorales » les brillantes « archives des cieux, » ainsi que le disait un poète du premier empire français, Chênedollé, ils s’occupent d’astronomie pratique et un peu de météorologie. Ils ont en effet plus de moyens de se livrer à la réflexion que les autres pasteurs, leur existence étant relativement paisible. Les pacifiques animaux qu’ils gouvernent ne ressemblent pas aux turbulens coursiers et aux taureaux impétueux des steppes ! Ils suivent dans un ordre plus ou moins régulier les moutons qui portent les clochettes ou plus souvent des ânes paisibles dressés à leur servir de guides. Des clabauds de petite taille, au poil frisé, gris ou noir, obéissant promptement au berger qui siffle, entourent le troupeau et l’amènent en un clin d’œil à l’endroit désigné. Quant aux redoutables chiens-loups qui marchent derrière le berger, ils