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« Si j’étais une rose, — vite je me flétrirais ; — personne ne me verrait, — personne ne m’aimerait.

« Ne m’appelle donc pas ta rose, — ni ton œillet, — l’œillet se flétrit au soleil d’été.

« Si j’étais une colombe, — vite je m’envolerais, — et nul ne me verrait, — ni ne m’aimerait.

« Ne m’appelle donc pas ta colombe, — ni ton petit oiseau, — parce que l’oiseau promptement s’envole sur un autre rameau.

« Appelle-moi seulement — ta fidèle et ton amour, — parce que je te suis fidèle, — et veux l’être jusqu’à la mort. »


Les sceptiques (on en trouve parmi les poètes comme parmi les penseurs) répondraient sans doute qu’ils aiment mieux louer l’éclat de la beauté, dont ils ne sauraient douter, qu’une constance qui leur semble fort hypothétique et même peu compatible avec la nature de la donna mobile. Un amant trahi conjure le ciel de ne pas lui sourire « avec un sourire d’azur, » qui lui semble une dérision amère. Il pleure Flora. « La fidélité, dit-il, reposait dans les fossettes de ses joues, — et le mensonge dans son cœur. » Faut-il attendre autre chose de ces êtres brillans et changeans, dont l’insensibilité égale le charme séducteur ? « Ses joues sont des feuilles de rose, — Ses cheveux des fils de soie ; — seulement une chose m’attriste : ― elle n’a pas de cœur dans la neige de son sein. » Les chants magyars, après avoir insisté sur la mobilité de la femme, font pourtant la part du sexe fort. « Je suis bon, » dit un amant à sa maîtresse, « mais un peu menteur. — J’en ai déjà trompé mille, — et toi, je te tromperai aussi. » Un autre dit :


« Deux endroits herbus se trouvent dans le jardin, — lequel dois-je faucher ? — Trois amantes m’attendent, — chez laquelle dois-je aller aujourd’hui ? »

« Libre, dit un troisième chant, est l’oiseau de voler sur trois rameaux, ― libre est le garçon de tromper trois filles. — Chez l’une il va, chez l’autre il dort la nuit, — et à la troisième il dit qu’il ne va chez aucune autre. »


Les poètes du peuple ne parlent pas seuls de cette façon. Un patriote ardent, dont j’ai dans ma jeunesse admiré le zèle infatigable pour les intérêts de sa terre natale, le comte Etienne Széchényi[1], après avoir accusé le Magyar de « n’être guère en état de supporter un jugement vrai de lui-même et de son pays, » ajoutait

  1. Voyez sur le célèbre comte hongrois l’étude de M. Saint-René Taillandier dans la Revue du 1er août 1867.