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ressentimens. L’exemple de la puissante Angleterre, joint aux rudes leçons de l’expérience, ne sera pas, il faut l’espérer, perdu pour les hommes politiques qui dirigent le gouvernement de la Hongrie. A Londres, un ministère éminemment libéral s’attache à réparer les rigueurs comme les injustices de la conquête, à désarmer l’hostilité séculaire de la race celtique par des concessions qu’on jugeait impossibles au commencement du siècle. Partout l’idée d’une centralisation oppressive, — si longtemps funeste aux peuples en Orient comme en Occident, — perd le terrain que gagnent les principes d’équité, de bon sens et de liberté. On s’aperçoit de plus en plus que les populations contenues uniquement par la force sont pour les états une cause de faiblesse plutôt que de puissance, et les gouvernemens, qui connaissent le pouvoir irrésistible dont dispose l’opinion publique, savent qu’il est infiniment plus avantageux d’en prévenir les décisions que de les attendre avec une insouciance dont les effets, dans un temps où les choses marchent si vite, ne tarderaient pas à se faire sentir.

Platon voulait couronner les poètes de roses et les envoyer aux frontières de sa république. Il est possible que le rôle de la poésie ne se concilie pas aisément avec la république platonicienne, qui ressemble trop à celle que rêvent certains utopistes pour s’arranger des droits de l’idéal et de la liberté ; mais toute l’histoire des Magyars prouve qu’un état libre est au contraire excessivement intéressé à ne jamais étouffer les généreuses inspirations de la muse populaire, et que la tyrannie a seule d’excellentes raisons pour les redouter. En effet, depuis l’apparition de la nation hongroise sur la scène de l’histoire jusqu’aux luttes des derniers temps, depuis ces vieux « jongleurs, » dont le nom a fini par être oublié, jusqu’à ce Petöfi, dont tant de hardis soldats ont répété les belliqueux refrains autour du feu des bivacs, ne voyons-nous pas les poètes du peuple s’associer avec l’enthousiasme le plus sincère et le plus constant aux triomphes comme aux épreuves de la patrie ? Grâce à eux, le découragement, — plus funeste aux états et aux individus que le malheur même, — le découragement, qui a conseillé ailleurs tant de lâchetés et tant de trahisons, ne s’est jamais assis aux foyers de la puszta, et l’on peut dire, en se servant d’une expression évangélique, que lorsque dans les rangs élevés de la société plus d’un cœur faiblissait à la vue de périls sans cesse renaissons, les pâtres énergiques du royaume de saint Etienne ont continué « d’espérer contre toute espérance » »


DORA D’ISTRIA.