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et les lettres des colonels insérées au Moniteur, et le bill de lord Palmerston, croyaient voir dans le traité un excès de complaisance, quelques-uns disaient un acte de servilité à l’égard de la France. Les théoriciens absolus y découvraient des engagemens qu’ils répudiaient comme une infraction à la rigueur du principe de liberté. D’autres enfin, scrupuleux jusqu’à la chicane, faisaient observer que quelques-unes des plus importantes réductions de droits portant sur des articles de luxe, sur le vin par exemple, étaient une faveur nouvelle accordée à la fortune. A ceux-ci M. Gladstone répondait que le vin était un article de luxe à cause des droits, à ceux-là que le traité ne renfermait pas une seule clause qui limitât la liberté de l’Angleterre dans ses rapports avec les autres pays. Il rassurait ceux qui affectaient de s’inquiéter pour l’intérêt ou la dignité du pays, en démontrant que le traité serait pour l’Angleterre un gain, quand bien même la France n’eût rien accordé. Enfin, quant aux esprits timorés qui regrettaient la protection et voulaient en maintenir les restes, il établissait par une expérience irréfragable que la liberté commerciale avait mis et pouvait seule mettre encore le pays en état de porter légèrement le fardeau croissant des dépenses. Et à ce propos il énonçait les deux grands principes régulateurs de sa conduite financière : l’un, que la suppression ou la diminution des droits sur un certain article permet au peuple, qui n’a que des ressources limitées, d’augmenter sa consommation d’autres articles, ce qui tourne à l’avantage du revenu public ; l’autre, que toute remise de droits a pour effet d’augmenter la consommation générale, par suite de donner une impulsion nouvelle à la production et au travail.

Pour faire face au déficit, l’income-tax était conservé, les droits sur le sucre et le thé maintenus ; « mais, disait M. Gladstone, je n’hésite pas à soutenir que c’est une méprise de croire que le meilleur moyen de servir les classes laborieuses soit toujours d’opérer sur les articles de consommation à leur usage. Si vous voulez leur faire le maximum de bien, vous devez plutôt opérer sur les articles qui leur assurent le maximum d’emploi. » En définitive, grâce à quelques innovations heureuses, il arrivait à un excédant dont il profitait immédiatement pour abolir certains droits d’excise, et notamment la taxe sur le papier. « Autrefois, dit-il après avoir énuméré ces suppressions, lorsque le souverain parcourait le pays précédé de ses hérauts d’armes, il faisait répandre parmi la foule accourue pour le voir des pièces de monnaie. Ces largesses étaient peut-être un agréable spectacle ; mais ces temps sont loin de nous, les conditions et l’esprit du peuple sont changés, et c’est un plus beau spectacle que celui d’un souverain qui peut, grâce à la sagesse de son grand-conseil assemblé en parlement, répandre dans le