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dérobée pour pratiquer les cérémonies de leur culte, on les regardait comme coupables d’affiliation à des sociétés secrètes. Le traité de 1860 promettait aux chrétiens une entière sécurité et aux missionnaires une protection efficace ; mais tant de promesses de ce genre avaient été éludées ou désavouées, que les autorités provinciales étaient toujours prêtes à n’en tenir aucun compte. Aussitôt après le coup d’état, le prince Kong publie un décret, par lequel, rappelant la protection que l’empereur Kang-hi accorda jadis aux catholiques, il assimile le culte chrétien à celui de Bouddha, et proclame la tolérance de cette religion dans toutes les parties de l’empire. Peut-être croyait-il ainsi mériter à peu de frais la satisfaction des Européens. Il se trompait étrangement, car le culte de Bouddha, quoiqu’on le professe publiquement, étant méprisé par la majorité des Chinois, notre diplomatie s’empressa de réclamer contre cette assimilation insultante. En même temps, un missionnaire et neuf chrétiens indigènes étaient assassinés juridiquement dans la province de Kouei-tcheou par l’ordre du général Tien-ching-chou, commandant des forces militaires, soldat de fortune, victorieux et redouté des rebelles autant qu’aimé de ses troupes. Placé entre les réclamations du représentant français et les menaces du général chinois, le prince n’hésite pas : il promet à notre ambassadeur une réparation complète, et se borne à lui demander de la patience et du temps. Dès lors il s’applique à ruiner le crédit du redoutable commandant, et, comme la politique chinoise excelle dans les manœuvres de ce genre, l’auteur de l’assassinat des missionnaires fut bientôt déconsidéré ; son crédit une fois ruiné, on le destitua et on l’exila en Tartarie.

J’observerai à ce propos qu’en Chine toute destitution est généralement accompagnée d’un châtiment quelconque. Les fonctionnaires forment une grande famille dont l’empereur est le père. Or la puissance paternelle étant non-seulement absolue et sans contrôle dans le Céleste-Empire, mais considérée comme infaillible, le fait seul d’avoir mérité la destitution en déplaisant au souverain constitue, sinon toujours un crime, du moins une faute grave qui entraîne une répression. Il n’est pas rare qu’un haut mandarin soit admonesté par l’empereur dans la Gazette de Pékin. C’est l’idéal de l’autorité paternelle, qui réprimande avant de punir ; c’est aussi le moyen de parler à l’esprit des populations, et de leur rappeler que l’empereur veille, protège, est le maître. Le prince Kong, la plus haute personnalité de l’empire après l’empereur, nous fournira bientôt à ses dépens un exemple de cette politique.

Le prince, en frappant le général Tien-ching-chou, avait donné un gage de sincérité aux puissances européennes et une leçon aux autorités chinoises. Le catholicisme en a profité pour réparer ses