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sait, et ce n’est pas seulement à la France qu’il refusait toute concession, il résistait aux suggestions de l’Angleterre aussi bien qu’à celles de l’empereur de Russie. Lord Granville demandait au roi de « communiquer à la France son consentement à la renonciation du prince Léopold. » Le souverain prussien déclinait cette invitation, il déclinait tout, et lorsque, voulant tenter un suprême effort, M. Benedetti cherchait à obtenir une dernière entrevue, on sait la réponse qui lui était faite : le roi lui signifiait par un aide-de-camp qu’il n’avait plus rien à lui dire, il renvoyait l’ambassadeur de France à son gouvernement à Berlin, tandis qu’au même instant on remplissait l’Allemagne du bruit de ce refus.

Ainsi dès le commencement on nous renvoie de Berlin à Ems, et plus tard on nous renvoie d’Ems à Berlin. Dans la première période, la Prusse procède par le mystère et la ruse ; bientôt, quand elle est obligée de faire face en plein jour, elle procède encore par une tactique évasive dont elle ne se sert plus que pour gagner du temps, et à la dernière heure elle ne trouve d’autre moyen qu’un refus insultant, qui est une véritable signification de rupture, qui ne laisse place à aucune possibilité de négociation. Au fond, on n’en peut pas douter, la Prusse ne se méprenait pas sur l’importance de cette candidature, qui a si mal fini, qui n’a peut être échoué que par la promptitude d’action du gouvernement français ; elle comptait sur une alliance avec Madrid dans des circonstances données, et la meilleure preuve qu’on avait cru toucher au succès, c’est le dépit qu’ont éprouvé les politiques prussiens en voyant l’Espagne se retirer si vite devant des complications qu’elle n’avait pas prévues. Maintenant, à les entendre, le général Prim se serait entendu avec l’empereur Napoléon pour tendre un piège à la Prusse. Le prince de Hohenzollern lui-même n’aurait pas échappé à une certaine disgrâce pour avoir renoncé si aisément à sa candidature, ou pour n’avoir point fait revivre ses prétentions. La Prusse a été prise dans ses propres ruses, et elle ne peut pardonner ni à ceux qui l’ont fait reculer ni à ceux qui ont refusé de la suivre jusqu’au bout, voilà la vérité. On prétend que dans un moment d’excitation qui n’était pas trop jouée cette fois, dans une circonstance décisive, M. de Bismarck aurait dit récemment que, s’il avait été à Ems, tout cela ne serait pas arrivé. C’est possible, quoique le chancelier du roi Guillaume connût parfaitement la candidature du prince de Hohenzollern, comme il l’a avoué lui-même, et que rien ne l’empêchât d’aller à Ems porter sa diplomatie au secours de son maître. Il est bien clair, au premier aspect, que la Prusse n’avait aucun avantage à se jeter tête baissée et prématurément dans une lutte si redoutable ; elle était plutôt intéressée à maintenir encore la paix, à gagner du temps pour consolider une œuvre de conquête artificielle et incohérente : oui, cela est vrai ; seulement la Prusse s’est trompée, elle n’avait pas prévu cette explosion soudaine et irrésistible de la France, elle a cru qu’il n’y aurait qu’une crise de mauvaise humeur à passer, et que